Après les \"Maîtres français de la donation Polakovits\" en 1988 et les \"Dessins vénitiens\" en 1989, l’ENSBA met de nouveau en lumière une partie de sa fabuleuse collection. Cette fois-ci, l’exposition s’articule autour d’œuvres exécutées en France au XVIe siècle, par des artistes italiens, français ou flamands, célèbres ou inconnus, dont beaucoup se rattachent à l’école de Fontainebleau.
PARIS - Sujets religieux ou mythologiques, dessins d’architecture, projets de décors, d’orfèvrerie, d’émaux ou de vitraux, patrons de tapisserie, ces pièces demeurent souvent les seuls témoins d’une production féconde, qui s’exerçait dans des domaines divers, et qui a parfois complètement diparu.
L’Italie et la France
Quelques miniatures extraites de livres d’heures, partagées entre l’esprit médiéval et l’art renaissant, abordent le propos. Ultimes expressions d’un genre qui eut son dernier âge d’or sous Henri II, elles deviennent au XVIe siècle un objet de luxe, privilège d’une clientèle restreinte et raffinée. L’Annonce aux bergers, du Maître des Heures Gouffier, témoigne déjà de l’influence italienne. Rosso, le premier d’entre eux attiré en France, est en fait l’initiateur de l’école de Fontainebleau. Sa Pandore est un bon exemple de sa "manière" subtile, nerveuse et élégante, d’où se dégage une pensée ésotérique et tourmentée. Primatice, peu de temps après, accepte aussi l’invitation de François Ier.
La dizaine de feuilles exposées rend compte de son travail de décorateur à Fontainebleau : modèles pour l’appartement des Bains, la galerie d’Ulysse, la salle de bal, qui seront exécutés par ses élèves. L’importance de ces décors, en partie détruits, a été considérable, car ils posent les fondements de l’école française. Très admirés – Poussin notamment "ne connaissait rien de plus propre à former un peintre et à échauffer son génie" –, ils ont été abondamment copiés et gravés.
Les graveurs
Les collaborateurs de ces Italiens furent nombreux. Le Flamand Léonard Thiry, par exemple, intervint surtout dans la vulgarisation du répertoire bellifontain par la gravure. De lui, nous retiendrons les épisodes du Livre de la Toison d’or, où les scènes entourées d’un large encadrement figuré sont très fortement inspirées des galeries du château. L’art bellifontain eut aussi des échos en province : Dumoustier à Rouen, Reverdy ou Salomon à Lyon empruntent également ce vocabulaire décoratif importé d’Italie qu’ils font connaître par le biais de l’estampe. Seul Bellange, à Nancy, fait figure d’isolé. Point d’orgue du maniérisme finissant, son style si particulier est superbement représenté par une Figure agenouillée, tourmentée, équivoque, élégante à l’extrême.
La seconde école de Fontainebleau
C’est un art ré-interprété, déjà proprement français, qui se manifeste dans le dernier quart du siècle. Toussaint Dubreuil et Ambroise Dubois prennent la relève des Italiens et étendent le décor des demeures royales à Saint-Germain, au Louvre ou aux Tuileries. Leurs compositions plus sages, dans le décor d’architectures antiques, gardent cependant le résidu des doutes maniéristes dans la silhouette très dansante des personnages.
En glissant doucement vers le siècle suivant, la ligne s’apaise, les contours se tempèrent. C’est un monde mesuré, exempt de toute angoisse, que l’on découvre chez Jean Boucher dans son Satyre et bacchante, dont le modelé rond et rassurant annonce déjà la classique tempérance d’un Mignard.
Saluer cette trop brève et trop discrète manifestation paraissait essentiel. La sélection des œuvres, leur mise en valeur et leur accrochage intelligent rendent un bel hommage aux donateurs – Masson, His de La Salle ou Polakovits – qui ont aimé cette période de gestation de l’art français.
"Le dessin en France au XVIe siècle", Paris, école nationale supérieure des beaux-arts, jusqu’au 6 novembre.
Commissaire : Emmanuelle Brugerolles ; Cambridge, Fogg Art Museum, 4 février-9 avril 1995 ; New York, Metropolitan Museum of Art, 11 septembre-12 novembre 1995.
Catalogue : Emmanuelle Brugerolles, David Guillet, édition ENSBA, 329 p., 290 F.
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De Bourdichon à Bellange
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°8 du 1 novembre 1994, avec le titre suivant : De Bourdichon à Bellange