Dans l’univers des Goncourt

L'ŒIL

Le 1 février 2004 - 488 mots

Quand on pense « Goncourt », on songe au Journal qui fait office de mémoire de la vie artistique de la seconde partie du xixe siècle, on songe davantage encore au célèbre prix littéraire français.
Ces deux dimensions de la « mythologie » de la fratrie Goncourt constituent le cœur de l’exposition de la Bibliothèque nationale de France. À l’occasion du centenaire de la naissance du prix, une très large place a d’abord été dévolue aux lauréats.
Le visiteur aura le privilège d’observer certains manuscrits couronnés, et non des moindres : ceux d’À l’ombre des jeunes filles en fleur, de La Condition humaine ou encore des Mandarins.
Le fameux Journal, avec ses sept cahiers pour la période 1851-1879 et ses trois gros volumes allant de 1880 à 1896, est exposé dans son intégralité pour la toute première fois. Chaque page dévoilée a été choisie comme un révélateur pertinent de l’esprit des Goncourt. Les amitiés prestigieuses sont pléthore, les querelles également, à l’image de quelques considérations fielleuses sur Zola.
Il faut surtout examiner le cinquième cahier où l’on peut lire les dernières lignes tracées avec grand-peine par Jules, au seuil du trépas en 1870, et l’agonie de celui-ci racontée par son frère aîné, Edmond. Malgré les mondanités, on sent combien la mort, la souffrance, la mélancolie, le dégoût sont présents dans l’univers des deux frères qui s’avouaient eux-mêmes victimes de leur extraordinaire sensibilité.
Cette sensibilité était également d’ordre plastique. Ainsi sont visibles quelques productions de Jules pour le moins étonnantes.
Ses illustrations de 1855-1856 des Notes sur l’Italie, colorées et très habiles, témoignent d’une maîtrise picturale évidente. Mais ce sont sans doute ses deux lithographies représentant Edmond de profil qui s’avèrent les plus convaincantes. Sans être un dessinateur de génie, Jules montre qu’il avait l’œil fort aiguisé. Un peu comme son maître absolu : Gavarni. De Gavarni, on peut d’ailleurs voir cette fameuse gravure où les deux frères, assis, tête rentrée dans les épaules, sourcils légèrement levés, semblent regarder le monde avec lassitude, et presque avec mépris. Mais le désenchantement n’est pas sans compensation possible. En novembre 1884, quand Edmond transforme son grenier en « parlotte littéraire » et y installe ses collections dont font partie de superbes pièces chinoises et japonaises, c’est dans le dessein d’y instaurer un climat d’amitié artistique dans le raffinement le plus complet. Le Grenier accueille tous ceux qui se réclament d’une parenté avec le naturalisme. Edmond de Goncourt profitera de ces rendez-vous hebdomadaires pour faire peindre le portrait de quelques habitués sur la reliure du livre qu’il préférait de chacun d’eux (six de ces sublimes reliures ont été réunies).
Cette exposition est rythmée et d’une remarquable diversité, le parcours s’avère enrichissant et distrayant et, de surcroît, fait un peu oublier les nombreuses polémiques qui entourent le prix littéraire. 

« Les Goncourt, du Journal à l’Académie », PARIS, Bibliothèque nationale de France, quai François Mauriac, XIIIe, 01 53 79 59 59, 9 décembre -22 février.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°555 du 1 février 2004, avec le titre suivant : Dans l’univers des Goncourt

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