Depuis sa dernière exposition importante à Paris (« Leçons des Ténèbres », en 1986, à la chapelle de la Salpêtrière), il y a chez Boltanski une fascination pour la disparition et, pour cette raison, il semble que ses œuvres nous parlent, qu’elles nous parlent intimement de notre condition d’humain. Dès la première salle, Menschlich présente une communauté fictive. 1500 photographies de visages anonymes la composent.
La substance de leurs regards gais ou tristes, rieurs ou absents, possède cette lourdeur propre à l’effacement. La mort constitue leur territoire et, de loin en loin, leurs ressemblances lointaines avec des êtres chers nous jettent dans un certain effroi.
En effet, ce qui est là, présent dans son immobilité photographique, c’est nous, vous et moi. Ce « nous » est cependant démultiplié à l’infini, dans des images à la trame grossière de personnages à la fois étrangers et si familiers, qui suscitent le même étonnement que l’on ressent lorsqu’on se découvre par hasard dans le reflet d’une glace et que, l’espace d’un instant, la figure qui surgit demeure si extérieure à nous-mêmes.
L’art de Christian Boltanski ne traite donc pas du cadavre, mais il se pourrait que l’étrangeté cadavérique constitue la moelle des installations produites récemment par cet artiste. La salle suivante reconstitue les sous-sols obscurs de ce que l’on pourrait nommer une maison des morts Les Registres du grand Hornu.
Accolées aux murs, des centaines de boîtes métalliques, pareilles à des cercueils, sont alignées.
Elles évoquent le souvenir d’enfants ayant travaillé dans les mines belges entre 1910 et 1940. Vient ensuite la Violence des Lits, vagues cadres métalliques disposés en quinconce. Un sentiment de claustrophobie saisit alors le visiteur. Plus loin, dans les entrailles du musée, Perdus (5000 objets trouvés disposés sur des étagères) et La Réserve du musée des Enfants (entassement de vêtements d’enfants) évoquent des êtres indéfinis et indéterminés dont la présence suinte de ces vagues objets, véritables reliques d’une vie ordinaire. Par analogie, le spectateur ne peut alors faire l’économie de ces images de camp nazi, où l’empilement d’effets personnels abandonnés et classés par l’administration témoignent avec force de la barbarie. C’est pourquoi le trouble qui nous saisit face à cette exposition mérite que l’on s’y attarde un instant. Boltanski évoque la dissolution de l’humain au moment de sa mort, la disparition de son identité et de sa spécificité. Et c’est avec justesse qu’il nous renvoie à une angoisse essentielle : celle de la mort anonyme. C’est ainsi que Boltanski présente des traces, quelques dérisoires objets attestant d’une présence. De l’être et de sa communauté, nulle parole ne surgit. Le silence constitue son linceul. Mais, dans d’autres pièces, le projet de cet artiste français est plus vaste, plus ambitieux, plus monumental aussi. Celles-ci interpellent les horreurs de l’histoire, génocides, massacres de communautés, asservissement économique... Mais on ne peut alors s’empêcher de s’interroger sur les conditions nécessaires à ces représentations. Quelles images, quelles installations sont à même de restituer l’inhumain ? L’exposition actuellement conçue par Boltanski est l’une des réponses possibles.
Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, jusqu’au 4 octobre, cat. Paris-Musées, 1140 p, 245 F
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Dans les ténèbres de Boltanski
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°497 du 1 juin 1998, avec le titre suivant : Dans les ténèbres de Boltanski