Condamné à l’exil après sa participation à la Commune, Courbet passa les dernières années de sa vie en Suisse. Lausanne lui rend hommage à travers une importante exposition de 73 tableaux postérieurs à 1855, quand le peintre accède à la célébrité grâce aux scandales que provoquent ses œuvres au Salon et aux expositions personnelles qu’il organise. C’est l’équilibre subtilement entretenu entre provocation, adaptation au goût du mécène et modernisme que le Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne met en scène.
LAUSANNE. Il est des expositions qui font avancer la connaissance du corpus d’un artiste. Celle-ci devrait éclairer le parcours de Courbet, puisqu’elle met en lumière les conséquences stylistiques des nouvelles conditions de création sous le Second Empire. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, à la faveur du libéralisme économique, les artistes travaillent de moins en moins sur commande. Sans assurance de vendre, ils hésitent à entreprendre de grands formats, sur lesquels on continue pourtant de les juger. Face à cette difficulté, Courbet élabore une stratégie tout à fait moderne pour se faire connaître de la critique : il présente au Salon et dans ses expositions personnelles d’ambitieuses compositions, véritables manifestes politiques et esthétiques – L’Atelier du peintre, le Retour de la conférence, la Femme au perroquet –, dont il se sert comme enseignes publicitaires pour ses petits formats, moins provocateurs et plus commercialisables.
La tradition revisitée
Ce sont ces derniers, moins connus, que le Musée cantonal de Lausanne a rassemblés, illustrant la diversité des genres abordés par le peintre à partir de 1855 pour satisfaire sa nouvelle clientèle et ses collectionneurs fidèles, tels Alfred Bruyas et Étienne Baudry. Bien qu’il persévère dans le naturalisme, Courbet se montre alors moins radical dans sa manière, remplaçant les contrastes violents par des demi-teintes et reléguant la critique sociale au second plan, au profit de thèmes traditionnels qu’il revisite à sa manière. Il invente ainsi une synthèse originale entre nature morte et paysage dans ses Fleurs sur un banc et Corbeille de fleurs, tandis que la Belle Irlandaise reprend, sous une forme réaliste, le schéma rococo de la femme à la chemise ouverte devant son miroir. Mais c’est sans doute avec ses paysages de la côte normande, réalisés dans la seconde moitié des années 1860, qu’il se montre le plus novateur, utilisant le couteau à palette pour rendre compte de la matière des éléments naturels. La vague, du Musée des beaux-arts de Lyon, constitue un exemple frappant de ce procédé. Courbet peindra d’ailleurs plusieurs versions de ce motif, de même que pour la Belle Irlandaise et d’autres œuvres à succès. Car l’apôtre du Réalisme recherchera avec opiniâtreté le succès commercial, signe tangible de la consécration. Ses scènes cynégétiques – le Renard dans la neige, l’Hallali, le Cerf expirant – et ses nus érotiques constituent clairement un moyen de débusquer de nouveaux amateurs. Certaines de ces toiles sont des compositions ambitieuses, comme Paresse et luxure. D’autres, en revanche, relèvent de la production alimentaire, notamment à la fin de sa vie quand, exilé et ruiné, il peint quantité de vues du château Chillon et des Alpes.
Jusqu’au 21 février, Musée cantonal des beaux-arts, 6 place de la Riponne, Lausanne, tél. 41 21 316 34 45, mardi-mercredi 11h-18h, jeudi 11h-20h, vendredi-dimanche 11h-17h. Catalogue édité par Flammarion, 168 p., 110 ill. dont 70 ill. couleur, 199 F
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Courbet peintre-stratège
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°72 du 4 décembre 1998, avec le titre suivant : Courbet peintre-stratège