REGGIO EMILIA / ITALIE
Dans le nord de l’Italie, à quarante minutes de Bologne, l’une des plus importantes collections privées d’art contemporain en Italie se tient en dehors des circuits touristiques. Bien qu’inégale, elle mérite le détour.
Reggio Emilia (Italie). Pour inaugurer son nouvel accrochage, le premier depuis son ouverture au public en 2007, la collection Maramotti à Reggio Emilia avait imaginé début mars un prélude musical éclectique : Le Printemps de Vivaldi, une pause silencieuse de 4 minutes et 33 secondes signée John Cage, une pièce pour violoncelle, accordéon et cordes de Sofia Gubaidulina, une cantate de Bach… Assis sur quelques rangées de tabourets, les invités assistaient à ce concert privé dans l’espace, très haut de plafond, reliant les deux niveaux du bâtiment, et où se trouve installée une œuvre monumentale de Claudio Parmiggiani, Caspar David Friedrich (1989), embarcation suspendue dont les voiles auraient été remplacées par de grands monochromes noirs. On connaît le génie des lieux de cet artiste italien, aussi radical que nourri de culture classique ; la longue contemplation de cette œuvre surplombant l’assistance à la façon d’un vaisseau fantôme offrait à la visite un préambule d’une certaine puissance poétique.
L’histoire de cette collection ? Elle est liée à la passion pour l’art d’Achille Maramotti, fondateur en 1951 de la griffe Max Mara. Jusqu’en 2003, le siège de la marque occupa, via Frattelli, dans la petite ville italienne de Reggio Emilia, cet immeuble à l’architecture brutaliste. Réaménagé par un architecte anglais, le lieu accueille depuis douze ans une sélection de deux cent œuvres, acquises, et majoritairement, produites, au cours de la deuxième moitié du XXe siècle.
Précédé par une définition du collectionneur selon Walter Benjamin, « engagé dans une lutte contre la dispersion », le parcours donne à voir sur deux étages une tentative d’ordonner des pièces disparates, parmi lesquelles figurent de nombreux trésors, ainsi que des ensembles importants. Parmi les œuvres remarquables, une saisissante installation sonore à l’échelle domestique de Vito Acconci Due o tre strutture che s’aggancino a una stanza per sostenere un boomerang politico (1978) accueille le visiteur. Mais aussi, dès les premières salles : un Cy Twombly Untitled (1959) ou une toile de jeunesse de Francis Bacon Man Eating a Leg of Chicken (1952).
La présence de Jannis Kounellis, et avec lui de plusieurs générations d’artistes italiens, est affirmée dès le début du parcours avec une série de chiffres sur fond clair, Senza titolo (1960). Outre Parmiggiani et Kounellis, la collection permanente accorde en effet une place à chacun ou presque des représentants de l’Arte povera : Alighiero Boetti, Pier Paolo Calzolari, Lucio Fontana, Mario Merz, Giuseppe Penone, Piero Manzoni, Giulio Paolini, Pino Pascali, Michelangelo Pistoletto… Le mouvement des trans-avangardistes (Enzo Cucchi, Francesco Clemente, Sandro Chia, Mimmo Paladino, Nicola de Maria…) complète cette forte composante locale de la collection, tout en affirmant sa synchronicité, au cours des décennies, avec son époque. Parmi les ensembles, on note aussi plusieurs grands formats de Peter Halley, le peintre américain aux motifs obsessionnels, visuellement explosifs, mais aussi une salle consacrée à cinq toiles des années 1990 d’Ellen Gallagher.
Si le médium de la peinture domine, il apparaît cependant parfois comme un parti pris par défaut. D’autant que si nombre d’œuvres peuvent être qualifiées de muséales, d’autres sont plus anecdotiques, et l’accrochage laisse parfois songeur : à quelle logique correspond le fait de placer un Jörg Immendorff de 1983 Auf zum 38° Parteitag (Let’s go to the 38th Party Conference), en vis-à-vis avec des tableaux de AR Penck Ohne Titel, et de Markus Lüpertz Soldat III (Dithyrambisch) de 1972 et 1974 ? L’idée de rassembler des œuvres en noir et blanc de Christopher Wool, Rosemarie Trockel et Barry X Ball n’est-elle pas purement décorative ? Quant à la prédominance, au deuxième étage, des artistes américains, elle s’explique en partie du fait que Luigi Maramotti, un des trois enfants d’Achille, disparu en 2005, a été en poste à New York dans les années 1980-1990. Il y a poursuivi la collection, avec plusieurs acquisitions, entre autres, de Ross Bleckner et Eric Fischl. Mais il semble avoir ignoré l’existence à cette période de la Metro Pictures gallery, dont pas une seule star n’est présente. L’absence des contemporains italiens les plus connus est également troublante.
Dix artistes « émergents » soutenus depuis 2009 sont mis en avant à l’occasion de ce réaccrochage : certains sont à la mode, comme le Sibérien Evgeny Antufiev, Jacob Kassay, ou Thomas Scheibitz, dont une sculpture dialogue avec trois grandes toiles qui retiennent le regard. On ne saura rien des centaines d’œuvres gardées dans des réserves, à l’abri des regards, dernière énigme de cette collection.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°520 du 29 mars 2019, avec le titre suivant : Collection Maramotti, un nouvel accrochage DÉconcertant