Au terme d’une déambulation bien orchestrée, se dégage de la rétrospective “Jean Cocteau”? du Centre Pompidou, au-delà de l’image de l’artiste “génial”? et polymorphe qu’elle entend célébrer, celle d’un homme dévoré par deux obsessions : le masque et le miroir. Peintes, sculptées, filmées, dessinées, esquissées, ou photographiées, les figures de Jean Cocteau (1889-1963) sont pléthore. Il en subsiste dans chaque recoin de la mémoire. Qui n’a en tête une impression de ce visage longiligne et anguleux, tant de fois représenté au cours du XXe siècle, le traversant comme un motif récurrent de son histoire intellectuelle ?
PARIS - L’exposition “Jean Cocteau” du Centre Pompidou est portée par une scénographie sinueuse réussie, qui assure une fluidité dans la présentation des œuvres autant que dans le parcours. On se promène d’une pratique à l’autre avec aisance, sans doute autant que Cocteau lui-même dans les sphères de sa création, passant de l’écrit au film, du théâtre au dessin. On sait gré à Dominique Païni, son commissaire général, de n’avoir pas voulu le faire passer pour un artiste total, concédant volontiers qu’il “n’a rien compris à la couleur et l’a manquée. Ce n’est pas un bon peintre”. On sourit face à la férocité grinçante dont ils ont fait preuve, avec Paul Iribe, en publiant la revue Le Mot (1914-1915) au violent contenu anti-allemand. Dans un cabinet érotique, des dessins crus des années 1920 célèbrent diverses postures de la sexualité, y compris de l’homosexualité. Se retrouve aussi un Cocteau dandy et grand mondain – ce qui lui fut tant reproché – qui fréquente Coco Chanel, Elsa Schiaparelli ou les Noailles.
Toutes les formes et les périodes sont présentes dans cette rétrospective, où il apparaît bien vite que la figure de l’artiste – on y revient – est plus souvent mise en œuvre que reproduite, le témoignage sur le vif ne semblant pas si fréquent. Une photo de Cocteau et Radiguet se baignant au Lavandou (1922) surgit un peu comme un grain de sable dans l’impression d’ordonnancement calculé du visage et de ses présentations qui se dégage de l’exposition. Même une photographie de 1917, où l’artiste est allongé sur le ventre, de côté et en caleçon, apparaît trop organisée, trop orthonormée, pour être vraiment spontanée. Beaucoup d’artistes parmi les plus grands du siècle ont usé de ce physique : Modigliani, Picasso, Man Ray, Cecil Beaton, Raymond Voinquel, Raoul Dufy, Andy Warhol… et bien sûr Cocteau lui-même, tant de fois autoportraituré, dès l’âge de 15 ans, devant sa glace (1904). Ses figures sont distillées dans tout le parcours, faisant montre d’une fascination pour les phénomènes d’apparition et de disparition, omniprésents dans ses films mais pas seulement, à voir cette saisissante série de portraits ne traçant que les contours de la tête, laissant un vide en lieu et place du visage (1910-1913). Non loin de là, c’est un portrait de Germaine Krull, où Cocteau se dissimule derrière sa main (1930), qui fait ressurgir la question du masque, présente dès l’entrée avec des photographies de Berenice Abbott (Jean Cocteau et le masque [du prologue d’Antigone], v. 1927) et un masque issu du film Le Sang d’un poète (1930). Partant, le motif est omniprésent, plus souvent inquiétant que rassurant, dans l’œuvre filmé (La Belle et la Bête, 1945) autant que graphique ou photographique, jusqu’à l’épée d’académicien dont le profil d’Orphée orne le pommeau (1955).
Au-delà du masque, pointent les thèmes de l’éternelle image de soi et du miroir. Ce n’est pas un hasard si des fragments de glaces se trouvent placés çà et là dans le parcours, et si cette rétrospective se clôt par un grand miroir mentionnant “Éternel retour”. Cocteau qui, selon Dominique Païni, “a voulu être invisible en touchant à tout”, a sans doute, comme Alice, été porté par l’idée que traverser le miroir peut procéder tant de l’évasion que du recommencement perpétuel. Toute cette problématique est concentrée dans une scène du Sang d’un poète, “la traversée du miroir”, dans laquelle, après quelques tentatives, l’homme est happé de l’autre côté, vers un inconnu où disparition puis réapparition augurent un renouveau, de la vie et de la création. Le miroir qui peut-être conjure le sort que lui a réservé une critique pas toujours conciliante… “La critique, c’est le bagne à perpétuité”, affirmait en 1928 Aragon dans son Traité du style. Et si l’autre côté du miroir, en plus d’un lieu de ressource artistique, était une voie pour y échapper ?
Jusqu’au 5 janvier 2004, Centre Pompidou, galerie 1, niveau 6, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tlj sauf mardi 11h-21h. Aux éditions du Centre Pompidou, catalogue, 450 p, 39,90 euros ; album, 50 ill., 8 euros. Et : Claude Arnaud, Jean Cocteau, éd. Gallimard, 864 p, 35 euros ; François Nemer, Jean Cocteau, sur le fil, coéd. Découvertes Gallimard/Centre Pompidou, 128 p, 11,60 euros.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Cocteau Twins
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°178 du 10 octobre 2003, avec le titre suivant : Cocteau Twins