GENÈVE / SUISSE
Consacrée à la métamorphose du vivant, l’exposition genevoise explore les multiples transformations du monde et de ses occupants.
Genève. C’est un thème bien dans l’air du temps que celui de la métamorphose. Et qui colle tout particulièrement à l’actualité du Centre d’art contemporain de Genève (CAC) qui accueille cette vaste exposition. L’institution appartiendra bientôt à l’entité du « BAC » (pour « Bâtiment d’art contemporain ») qui réunira le Musée d’art moderne et contemporain et le Centre de la photographie, ses voisins actuels, au sein de l’ancien complexe industriel situé au cœur du quartier des Bains. Retenu fin 2021 pour la rénovation du bâtiment, le bureau d’architecture berlinois Kuehn Malvezzi aura la responsabilité de réorganiser les espaces et de mettre aux normes les locaux. Selon le calendrier officiel, le chantier prévu pour début 2025 devrait durer environ trois ans.
Pour l’heure, l’exposition du CAC vise, selon les termes de son commissaire et directeur, Andrea Bellini, à rendre « hommage à la force implacable de la métamorphose, à la transformation incessante du monde et de tous les êtres organiques et inorganiques qui l’habitent ». Elle se visite à la verticale, l’exposition étant distribuée sur trois étages. Peu de textes introductifs ni de longs cartels : le visiteur parcourt les salles à l’esthétique industrielle brute, guidé par son intuition et son regard. Il navigue presque sans boussole entre des œuvres d’artistes reconnus et celles d’inconnus, entre des céramiques, des installations, des vidéos et des dessins. Aucune distinction n’est établie entre les soixante artistes et leurs quelque deux cents œuvres qui constituent ce riche parcours pluriel.
Qui mieux que Leigh Bowery, l’extravagante égérie drag queen de la vie nocturne londonienne des années 1980 – avant son décès précoce des suites du sida en 1994 – aurait pu incarner cette métamorphose poussée à son paroxysme ? Une salle est consacrée à cette figure dont les costumes inspirèrent en leurs temps le monde de la mode. Une série de photographies prises entre 1988 et 1994 par le photographe Fergus Greer donnent une idée de ces fantasques tenues éphémères portées par le performeur australien. Son adage : « Si tu me mets une étiquette, tu me nies. »
Cette phrase pourrait aussi bien s’accorder aux individualités en marge auxquelles l’exposition fait la part belle. Co-organisée avec la collection d’art brut de Lausanne, « Chrysalide… » montre de nombreuses œuvres estampillées « art brut », qui ici, sont mises sur un pied d’égalité avec les œuvres d’art contemporain. Dès l’entrée, figure la galerie de portraits hybrides mi-animaux, mi-humains, dessinés par une figure historique franco-suisse de l’art brut, Marguerite Burnat-Provins (1872-1952), issus de la série « Ma ville ». Et ceux-ci n’en finissent pas de dialoguer avec les dessins anthropomorphes de l’Américaine Kiki Smith (née en 1954), rencontrés plus tard dans le parcours ou les dessins de créatures féminines métamorphiques de l’artiste et écrivaine suisse Grisélidis Réal (1929-2005).
Malgré les marches d’escalier qui séparent les différents niveaux et salles de l’exposition, pas de seuil dans ce cheminement, mais un lent glissement d’une approche poétique de la notion de métamorphose (développée dans ses aspects imaginaires et souvent organiques – végétaux, animaux) à une dimension plus politique et plus contemporaine du terme. Un parti pris assumé par le commissaire, inspiré par le personnage de Pinocchio, qui voit dans la thématique « une aventure poétique, imaginaire et politique, une méditation sur la vie comme mouvement, un refus de toute catégorisation, un contact avec les profondeurs de l’être et une exploration de son identité non biologique ». Les identités fragmentées et recomposées, qu’elles questionnent le genre ou l’origine, constituent le point culminant de l’exposition. Parmi les nombreuses pièces, on retiendra tout particulièrement la force des photographies de l’artiste norvégienne d’origine africaine, Frida Orupabo (née en 1986), mêlant son histoire personnelle à l’histoire collective autour d’une réflexion sur l’altérité des corps.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°608 du 31 mars 2023, avec le titre suivant : Chrysalide, une ode à la diversité et à l’altérité