PARIS
Évoquer dans une exposition le travail de Charles Ratton dans la lente reconnaissance des arts « primitifs » au début du XXe siècle, c’est le pari relevé par l’historien et critique d’art Philippe Dagen, commissaire de l’exposition « Charles Ratton, L’invention des arts primitifs », consacrée au collectionneur, ami des surréalistes et expert en « art nègre ».
Un pari réussi concernant la période d’avant-guerre, la plus féconde pour l’antiquaire. Celui-ci organise dans les années 1930 de nombreuses expositions et ventes historiques, avec force publicité, évoquées successivement par des photographies, affiches et catalogues qui révèlent un infatigable personnage. La reconstitution de son bureau de la rue Marignan entouré de ses documents d’archives au début du parcours le présente d’emblée comme le marchand érudit, le distinguant ainsi de ses confrères. Charles Ratton n’est certes pas le premier dans les années 1920 à poser un autre regard sur les arts premiers. Lorsqu’il acquiert sa première pièce en 1926, voilà vingt ans que des masques africains ont surgi sur les visages des tableaux de Picasso et des autres.
Mais son activité marchande adossée à une solide érudition est déterminante. D’une part, les ventes contribuent à la diffusion des objets auprès de collectionneurs, et les prêts qu’il consent viennent enrichir des institutions ethnographiques en pleine mutation (ouverture du Musée de l’homme en 1937, puis du Museum of Primitive Art à New York en 1957). D’autre part, son érudition, uniquement livresque toutefois, participe à l’élaboration d’un premier discours scientifique sur ces « arts lointains ». Entre le mépris de certains pour des objets « barbares » et la conception strictement esthétisante des avant-gardes, il ouvre ainsi « une troisième voie qui affine la perception des arts [primitifs], sans toutefois remettre en question les normes d’appréciation du Beau », relève Maureen Murphy, conseillère scientifique de l’exposition.
La période de la guerre, pourtant développée dans le catalogue, est étrangement évacuée du parcours qui se poursuit avec moins de pertinence avec les années 1950 et les activités de l’antiquaire outre-Atlantique. On regrette aussi l’absence d’une réflexion finale sur la notion des « arts premiers » dans une exposition présentée au cœur du Musée du quai Branly, héritier immédiat de cette période.
« Charles Ratton. L’invention des arts “primitifs” » jusqu’au 22 septembre 2013Musée du quai Branly, 3, quai Branly, Paris-7e, www.quaibranly.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°660 du 1 septembre 2013, avec le titre suivant : Charles Ratton la voie du primitivisme