Artiste hors norme, Chaissac s’autorise toutes les libertés. L’idée d’interdit lui est étrangère. Rien n’est vulgaire. Il invente l’« art rustique moderne » avant que Dubuffet ne parle d’« art brut ».
Gaston Chaissac découvre la peinture de Freundlich en 1937. Ce « fut une révélation qu’on peut dessiner des tableaux autrement qu’en interprétant la nature. » Il dit aussi, malicieusement, « Picasso j’aurais pu être tenté de le singer si je l’avais connu avant de savoir peindre. »
Chaissac sait tout de suite quelle direction prendre, ne veut pas faire des compositions abstraites organisées comme Freundlich. « Je ne connais d’autres règles que d’obéir à l’inspiration du moment. ». La notion de transgression lui est totalement étrangère. Une liberté assumée avec une telle simplicité étonne et intéresse ses amis peintres et écrivains. « L’ignorance donne une auréole flamboyante. »
Il écrit comme il peint, sous la dictée de son esprit
Souvent malade, Chaissac écrit beaucoup. Il échange une correspondance abondante avec de nombreux amis, parmi lesquels Jean Paulhan et Raymond Queneau. Un choix de lettres et de poèmes est réuni dans Hippobosque au bocage, réédité dans la collection L’Imaginaire de Gallimard en 1995.
De nombreux autres écrits de Chaissac ont été publiés, entre autre les Chronique de l’oie à la Nouvelle revue française de 1957 à 1960. Il écrit comme il peint, les mots viennent, il ne se relit pas. Il laisse sur la feuille la transcription immédiate et simple de ce qu’il pense à l’instant précis où il écrit.
Dés la fin du xixe siècle, des médecins s’intéressent aux productions picturales des « malades d’asile ». Il faut attendre le mouvement Dada pour que des artistes accordent une réelle attention aux œuvres échappant aux normes culturelles dominantes.
En 1946, Dubuffet voit en Chaissac un exemple
En 1947, Dubuffet invente le concept « art brut » réunissant toutes les œuvres éloignées de l’art savant. Pour Chaissac, c’est clair : « Mes préférences vont à la peinture rustique moderne et, peintre de village, je lui reste fidèle, trop sûr de faire fausse route si je cherchais à peindre à la façon des artistes peintres des capitales et des sous-préfectures. »
On associe souvent Chaissac et Dubuffet. Alerté par Jean Paulhan en 1946, Dubuffet contacte le « peintre du boccage » pour lui acheter un tableau. La relation entre les deux hommes est tout de suite passionnée. Chaissac est l’artiste que Dubuffet aurait aimé être et qu’il ne sera jamais. Vif, drôle, il n’a pas à faire table rase d’une culture aliénante et mystificatrice. Il crée des œuvres singulières avec ce qui lui tombe sous la main, faisant confiance à ses impulsions.
Alors que Dubuffet a renoncé à deux reprises à sa carrière d’artiste. À quarante et un ans, il est reparti à zéro, tentant d’échapper à « l’asphyxiante culture » pour peindre « en toute liberté et rapidité. »
Le « vénéré pape de l’art brutiste » est impressionné par l’étonnante liberté de Chaissac. Ses « peintures sandwich » où « la peinture est entre deux feuilles de papier transparent qui sert par ici pour envelopper le beurre », comme ses autres œuvres, lui paraissent évidemment appartenir à l’art brut.
Mais Chaissac ne tarde pas à prendre ses distances avec son ami attentif et généreux. Dés 1947, il ironise : « Ne pourriez-vous pas parler d’un art demi-brut, d’un art trois quarts brut… » Bien que participant en 1949 à l’exposition : « L’art brut préféré aux arts culturels », il écrit à un autre ami : « Je passe pour faire de l’art brut mais je ne pense pas en faire. »
Le « Picasso de bidonville », comme il se surnomme lui-même, a un regard lucide et amusé sur les « artistes de la capitale ». Il écrit en 1949 : « Chez Picasso, je vois le souci d’épater les autres et lui-même sans sortir de l’honorabilité pour cela et une terrible anxiété de ne point passer à la postérité . » Camille Chaissac lui ayant offert l’ouvrage Picasso, seize peintures 1939-1943, il n’hésite pas à s’approprier avec brio certaines des figures reproduites.
Gaston Chaissac n’est pas un artiste fruste et ignorant de l’art de son époque, mais un homme fragile et inspiré. Il laisse une œuvre qui surprend toujours par sa liberté. Comme si chaque instant pouvait avoir la simplicité d’une naissance.
Informations pratiques L’exposition « Chaissac » se tient jusqu’au 22 juillet tous les jours sauf le dimanche de 10 h à 18 h. Tarifs : 4,5 euros et 3 euros. Musée de la Poste, 34, boulevard de Vaugirard, Paris xve, tél. 01 42 79 23 45, www.museedelaposte.fr La Poste retrace son histoire par la présentation de ses métiers, du facteur au graveur de timbres. Le musée conserve aussi le patrimoine philatélique de l’État.
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Chaissac, le Picasso des bidonville
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°580 du 1 mai 2006, avec le titre suivant : Chaissac, le Picasso des bidonville