Après New York et Los Angeles, Paris accueille « Cézanne et Pissarro » au Musée d’Orsay. Une confrontation dans le cadre du centenaire de la mort du maître d’Aix-en-Provence.
PARIS - L’année 2006 célèbre le centenaire de la mort de Paul Cézanne avec son lot de passages obligés : l’exposition-hommage, « Cézanne en Provence », qui ouvre en juin au Musée Granet à Aix-en-Provence, et la confrontation désormais rituelle de l’artiste à l’un de ses pairs. Précédemment présentée au Museum of Modern Art (MoMA) de New York et au Los Angeles County Museum of Art (Lacma), le dialogue entre « Cézanne et Pissarro » s’installe au Musée d’Orsay, son ultime étape.
Visions personnelles
Paul Cézanne (1839-1906) et Camille Pissarro (1830-1903) forment donc le duo parisien de la saison. Placée sous l’œil attentif, pour ne pas dire inflexible, de Joachim Pissarro, conservateur au MoMA et arrière-petit-fils de Camille, l’exposition se concentre sur la période d’osmose artistique entre les deux artistes. Les peintres se sont rencontrés en 1861 dans l’atelier de Charles Suisse, et ont entretenu une relation sincère et profonde jusqu’en 1885, date à laquelle Cézanne quitte définitivement Paris pour poursuivre son art en Provence.
Ils peignirent ensemble sur le motif, chevalets côte à côte, à Auvers-sur-Oise et à Pontoise. Comme le rappelle Joachim Pissarro dans l’introduction du catalogue, l’histoire de l’art a longtemps placé Cézanne dans le rôle de l’élève et Pissarro dans celui du maître. Camille, de neuf ans l’aîné de Paul, serait parvenu à canaliser l’énergie du jeune Cézanne, et l’aurait placé sur les rails du modernisme. C’est sans compter sur l’admiration et le respect que les artistes se vouaient mutuellement, et que démontre en plusieurs occasions cette exposition.
Chose rare, ici les œuvres parlent d’elles-mêmes. Et c’est tant mieux, car l’accrochage convainc plus que le catalogue de l’exposition, quasi-monocorde, où Joachim Pissarro estime nécessaire de revenir sur la définition du « modernisme » et de ce que signifie pour l’époque « être moderne ». Le choix des œuvres est éclairé, permettant à l’œil le moins averti de saisir la manière de chaque peintre. Car, au lieu de les rapprocher, de trouver leurs points communs, ce réexamen de « la nature de leur échange artistique » confirme leur individualité propre. Ainsi dans la salle réservée aux natures mortes, où la palette de Cézanne se détache par la force de ses contrastes. Tandis que Pissarro figure avec délicatesse un bouquet de fleurs ou une assiette de fruits, incluant le détail naturaliste de la frise fleurie du mur en toile de fond (Pommes châtaigniers et faïence sur une table, 1872), Cézanne produit une œuvre plus stylisée (Fiasque, verre et poterie, vers 1874). Sa façon « quasi géométrique » d’envisager la nature transforme la nappe froissée en pliages origami et les fruits en globes multicolores. Quant au mur du fond sur lequel est répété un motif en croix, ne frôle-t-il pas l’abstraction ?
Aux frontières du réel
Géométrie toujours avec les paysages. La composition de La Maison du pendu, Auvers-sur-Oise (1873) de Cézanne est si puissante qu’il est impossible de résister à la force d’attraction du goulet en pente entre les deux maisons. Plus classique, la Rue Rémy, Auvers-sur-Oise (1873) de Pissarro ne se départ pas du bucolique et de l’anecdotique – avec l’enfant qui balaie devant sa mère tenant un bébé dans ses bras. Car Pissarro reste toujours dans la réalité. Si sa touche apparaît résolument impressionniste, il est dans le domaine de la représentation. Cette différence de parti pris est particulièrement frappante avec Le Clos des Mathurins à Pontoise (1875), de Cézanne, comparé à la Vue sur la maison des Mathurins (1875), de Pissarro. Lorsque le premier fond les arbres du paysage en une masse abstraite vert et brun et étale la peinture au couteau pour figurer le pré au premier plan, le second respecte la perspective et ancre la composition dans le réel par le biais de personnages et d’une carriole roulant sur le chemin de terre. Quand Cézanne copie Louveciennes (1871) de Pissarro (au nuage près !), sa version est d’emblée plus ensoleillée et moins détaillée. Moins subtile ? Peut-être, mais ce tableau clame haut et fort sa préférence pour l’organisation de la toile selon les volumes et les couleurs, aux dépens de la représentation, fût-elle de sa « sensation ».
La complicité entre les deux peintres s’est jouée pour chacun sur une intégrité artistique ouverte à l’influence de l’autre. La Maison du docteur Gachet à Auvers-sur-Oise (vers 1872-1874, New Haven) témoigne d’une palette moins contrastée chez Cézanne, tandis que le Chemin montant, rue de la Côte-du-Jalais, Pontoise (1875), de Pissarro, outre l’aspect cubique des maisons en arrière-plan, offre des couleurs plus franches et une touche plus plate. Dans cette expérience purement esthétique, chacun pourra déceler les traces de vingt années d’échanges réciproques.
Jusqu’au 28 mai, Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion-d’Honneur, 75007 Paris, tél. 01 40 49 48 00, www.musee-orsay.fr, tlj sauf lundi 9h30-18h, 9h30-21h45 le jeudi. Cat., coéd. RMN/MoMA, 256 p., 178 ill., 39 euros, ISBN 2-7118-5043-9.
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Cézanne-Pissarro, la construction et la sensation
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Abonnez-vous dès 1 €- Nom des commissaires : Joachim Pissarro (MoMA), Jean-Patrice Marandel (Lacma), Sylvie Patin (Musée d’Orsay) - Nombre d’œuvres : 72 (36 Cézanne, 36 Pissarro) - Nombre de salles : 7 - Budget de l’exposition : 1 510 000 euros - Mécène : ABN-AMRO et ses filiales, Banque de Neuflize et Banque OBC
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°233 du 17 mars 2006, avec le titre suivant : Cézanne-Pissarro, la construction et la sensation