Le vase est un objet à la fois banal et archétypal, un exercice de style plastique et, en même temps, un produit voué à l’édition. À Rochechouart, près de Limoges, le musée d’art contemporain présente 110 pièces de designers contemporains.
ROCHECHOUART - En introduction à un billet d’humeur intitulé “Je ne sais pas”, le designer italien Alessandro Mendini s’interrogeait : “Je ne sais pas si je dois mettre un vase de fleurs sur la table.” Nestor Perkal, lui, le sait. Dans une exposition présentée au Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart et baptisée “Désir d’objets”, dont il assure le commissariat, le directeur du Centre de recherche des arts du feu et de la terre (Craft), à Limoges, a réuni plus d’une centaine de vases datant de ces vingt dernières années. Il les a tout simplement placés sur des tables. “Nous avons voulu bousculer cette idée habituelle du musée où l’on pose les œuvres sur des socles, de manière parfois trop réfléchie, pour au contraire créer une ambiance plus domestique”, explique Nestor Perkal. En outre, il s’est inventé “une histoire” : celle d’un châtelain amateur de vases qui, à l’exception des tables, aurait vendu tout son mobilier pour laissr toute la place à sa collection. Bien qu’imaginaire, cette dernière est pour le moins fournie, car les prêteurs, eux, sont bien réels, qu’il s’agisse du fameux galeriste belge Ernest Mourmans, du Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques (Cirva), à Marseille, du Fonds national d’art contemporain (FNAC), voire... du commissaire lui-même.
L’exposition se déploie donc dans ce qui pourrait être l’appartement du collectionneur. On déambule ainsi depuis l’entrée vers le grand salon ou la chambre. Se détachent alors d’étranges profils, tel le vase Egg de Marcel Wanders, sorte de concrétion d’œufs, le vase Nasturzio d’Andrea Branzi, constitué de cinq éléments articulés en verre soufflé, ou encore ces vases découpés aux formes molles, de Marco Mencacci. Ici, trois vases Lingam d’Ettore Sottsass côtoient un ensemble admirable que Pierre Charpin a réalisé au Cirva entre 1998 et 2001. Ailleurs s’épanouissent des silhouettes plus flamboyantes, comme, dans le “grand salon”, cette rangée de pièces en verre de Borek Sipek, fixées à mi-hauteur sur un mur d’un rose puissant.
On glisse allègrement d’un objet unique à un vase édité en série limitée, en passant par une pièce produite en série, comme le vase Rockley, que Georges Sowden a dessiné pour Driade, ou ces deux objets fabriqués par la firme néerlandaise Cor Unum : Kalpa de Satyendra Pakhalé et Glove de Konstantin Grcic. Plusieurs designers ont, eux, livré des variations sur le thème du “trois volumes en un” : Roderick Vos (Mama Vase), NL Architects (3 Vaas) ou Paolo Deganello (Trivaso). Hormis les “Vases anthropomorphes” de Pascal Convert, deux avant-bras en porcelaine modelés en 1995 à la Manufacture nationale de Sèvres, il n’y a pas de travaux d’artistes.
En filigrane de cette collection imaginaire point évidemment une question : comment exposer le design ? “Montrer le design sur un podium est un contre-sens, estime Nestor Perkal, c’est mettre un objet d’usage sur un piédestal, or ce n’est pas une œuvre d’art. Nous voulions éviter ce genre de mystification.” D’où ce travail, impeccable, sur ces “socles du quotidien”. Certaines associations fonctionnent à merveille. Ainsi la récente série de vases Long Neck Bottle et Groove Bottle en porcelaine, verre et adhésif, d’Hella Jongerius (lire p. 4), présentés dans un meuble biscornu des années 1950. Idem avec The Sherry Netherlands de Matteo Thun, un vase pour six fleurs en verre soufflé posé sur un guéridon au plateau de bois sculpté.
L’exposition est, certes, séduisante. À l’évidence, les objets ont été choisis avec goût. On aurait néanmoins souhaité, par moments, plus amples explications, par exemple sur la mise en œuvre d’un matériau ou sur le contexte historique de la création d’une pièce. Car le visiteur risque fort de passer à côté de certaines, à l’image des vases Boop, en aluminium soufflé, et Vulcano, en résine, de Ron Arad, qui sont de véritables exploits techniques. Comme il ne peut d’office soupçonner que, devant ces quelques vases de la collection “Fish Design”, de Gaetano Pesce, défile l’obsession de toute une vie d’un designer pour un matériau, la résine pigmentée. Derrière le plaisir esthétique sourd aussi une certaine histoire du design.
Jusqu’au 15 décembre, Musée départemental d’art contemporain, 87600 Rochechouart, tél. 05 55 03 77 77, tlj sauf mardi, 10h-12h30 et 14h-17h, catalogue à paraître.
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Ces obscurs objets du désir
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°178 du 10 octobre 2003, avec le titre suivant : Ces obscurs objets du désir