Il a quitté son Tennessee natal où il vit, à Memphis, depuis 1939, pour rejoindre le port de Dunkerque. Il a accepté une résidence proposée, en octobre 2005, par cette ville du nord de la France. « Il » n’est autre que « Le maître de la couleur » : William Eggleston, inspirateur de David Lynch, Sofia Coppola et Gus Van Sant, dandy solitaire et artiste-photographe fort doué et (à juste titre) fort loué lors de sa très belle rétrospective parisienne, à la fondation Cartier, en 2001.
À Dunkerque, William Eggleston a flâné durant huit jours d’automne pour livrer sa vision toute personnelle de la cité portuaire. Et le résultat, quarante clichés inédits exposés au LAAC (Lieu d’art et d’action contemporaine) est plus qu’à la hauteur, soulignant l’incroyable maîtrise de la polychromie chez cet admirateur de Walker Evans et de Cartier-Bresson. Contrairement à ce dernier, Eggleston abandonne le noir et blanc dès 1965, rapatriant ainsi la couleur, alors souvent cantonnée à la pub, dans le domaine de l’art.
Mais, si la couleur est au cœur de son œuvre, le regard posé sur les petites choses, passées inaperçues pour bien des pupilles, est aussi l’arme fatale du grand William. Il remarque tout… De la moindre trace à la plus grande grâce, il auréole l’anodin de sa lumière de guetteur de l’éphémère. Le gros gibier, le sensationnel ne l’intéressent guère.
Il leur préfère le plus banal, le plus discret qu’il sublimera toujours pour mieux nous étonner.
William Eggleston a ainsi photographié « ce qu’il y avait devant lui et pas forcément devant nous », écrit le commissaire délégué, Vincent Gérard, en parlant de ce fameux « regard oblique » qui ne saisit qu’un seul objet (une botte rose) sur les étals du marché ou qu’un infime détail du port.
La mer n’apparaît ainsi que rarement, tandis que les volumes, les lignes et les cercles de l’architecture industrielle prennent toute la place et se colorent d’une palette de tons vifs, celle des fins d’après-midi et du dye transfer (procédé de tirage onéreux, lent et délicat, aux airs d’artisanat, qui fait éclater les couleurs).
Les gros tubes rouillés laissent voir un minuscule morceau du grand bleu, les chargements multicolores des bateaux composent des tableaux abstraits et, toujours, ces clins d’œil à l’Amérique : des pin-up sur carte postale au tee-shirt « Red Bull », du drôle de panneau fléché « Be queer » à la bouteille de Coca qui semble sortie d’une photo des Sixties. Et ces rails qui foncent dans la nature comme en plein Far West. Dunkerque a soudain « quelque chose de Tennessee »...
« William Eggleston, Spirit of Dunkerque », Lieu d’art et d’action contemporaine (LAAC), jardin des Sculptures, entrée Pont Lucien-Lefol, Dunkerque (59), tél. 03 28 29 56 00, jusqu’au 29 octobre 2006.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Carte blanche au maître de la couleur
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°584 du 1 octobre 2006, avec le titre suivant : Carte blanche au maître de la couleur