Carpeaux et Daumier face au monde

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 28 octobre 2008 - 364 mots

Les dessins que réalisèrent Honoré Daumier (1808-1880) et Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875) ne sont pas seulement présidés par une idée, ils sont traversés par un souffle, mieux, par une « âme ». La psyché, donc, et l’anima, ce principe immanent susceptible de donner la vie et, conséquemment, d’animer celles et ceux qu’il investit.

L’exposition du musée des Beaux-Arts de Valenciennes, en confrontant les œuvres dessinées des deux artistes, établit aussi un formidable dialogue anachronique dont les aquarelles, lavis et fusains sont des protagonistes éloquents et leurs titres des didascalies singulières. « Être de son temps » : la célèbre injonction de Daumier vaudra pour Carpeaux qui, comme son aîné, plébiscite le dessin, devenu le matériau emblématique de la liberté, vif et aérien, transgressif et expressif.
Scènes urbaines et visions intimistes, chroniques sociales et fables drolatiques : les dessins de Daumier et de Carpeaux disent les mêmes maux avec des mots identiques. Quand le premier énonce le dénuement d’une simple Soupe, le second traduit la misère d’une Mendiante et son enfant. Quand l’un stigmatise la fatuité du comte d’Argout, l’autre foudroie Ledieu-Deblaive d’un portrait charge. Quand les lavis du Marseillais réinventent un Centaure enlevant une femme, les rehauts de gouache du Valenciennois redécouvrent La Lapidation de Saint-Étienne de Rubens.
Blanchisseuses, politiciens, nourrissons, magistrats courtisés et passants anonymes deviennent les hérauts dérisoires et sublimes d’une symphonie enfiévrée et obsédée où l’encre et la plume donnent une plasticité à la vie et une sculpturalité aux corps. Aussi, lorsqu’il abandonne la toile et la glaise pour le crayon, Daumier dépeint et modèle encore. Et, lorsqu’il délaisse la sculpture pour le dessin, Carpeaux cisèle toujours.
Rien n’est gratuit dans ses formes altérées, rien n’est hasardeux dans ses traits démultipliés. Il y a là du Spleen de Paris et de la Comédie humaine. Ni plus, ni moins. Cène contemporaine, La Soupe affirme la misère sans misérabilisme. Maternité moderne, la Mendiante et son enfant exprime la douleur sans dolorisme. Invariablement. L’empathie sans l’emphase. Tout juste un dépit à l’endroit d’un monde qui change. Des Illusions perdues, en somme

« Carpeaux/Daumier, dessiner sur le vif », musée des Beaux-Arts, boulevard Watteau, Valenciennes (59), tél. 03 27 22 57 20, jusqu’au 11 janvier 2009.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°607 du 1 novembre 2008, avec le titre suivant : Carpeaux et Daumier face au monde

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