Art contemporain

Buraglio, un peintre hors cadre

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 19 juin 2019 - 519 mots

L’artiste, en multipliant les chemins de traverse de l’avant-garde, s’est construit un parcours créatif très personnel. Sa première rétrospective rend compte avec justesse de ces soixante années de création.

Saint-Étienne. Devant la rétrospective très complète de Pierre Buraglio (né en 1939), à l’accrochage élégant et aéré, le visiteur risque de perdre ses repères. De fait, rares sont les artistes dont le cheminement présente autant de surprises, de bifurcations, voire d’allers-retours. Pourtant, Buraglio n’est pas en dehors de son temps ; son œuvre entretient un rapport de proximité avec les différentes mouvances de l’avant-garde. Qu’il s’agisse de l’abstraction américaine de l’après-guerre, de Supports-Surfaces ou, dans une moindre mesure des Nouveaux Réalistes, l’artiste reconnaît volontiers ses « dettes ». Toutefois, si l’homme peut se permettre cette franchise inhabituelle, c’est grâce à sa capacité de n’appartenir à aucune famille, de faire toujours un pas de côté. Le pari – parfaitement tenu – de l’exposition est de proposer un parcours chronologique qui montre clairement les « solutions » singulières apportées par Buraglio. Ainsi, à l’entrée, les quelques dessins figuratifs et œuvres abstraites, tentatives de jeunesse, sont presque immédiatement suivis de Recouvrement (1965), une toile recouverte d’aplats noirs et verts. Un geste violent, peu éloigné de celui d’Arnulf Rainer, qui repeint également en partie ses propres toiles. Violence qui se confirme par une série réalisée presque immédiatement à la suite, les « Agrafages » (1966), à partir de chutes de ses propres tableaux découpés en triangles irréguliers, assemblés et agrafés.

Puis, l’exposition semble s’arrêter brusquement, quand on se trouve dans une salle pratiquement vide, nommée « Parenthèse ». Cette trouvaille scénographique rappelle qu’en même temps que créateur, Buraglio est un militant politique. Entre 1969 et 1973, il travaille comme ouvrier dans une imprimerie et cesse sa pratique artistique. Pour autant, tout laisse à croire que cette suspension momentanée ne l’a pas empêché d’examiner le sens de son activité et d’envisager l’expérimentation plastique à venir. Cette réflexion se concrétise avec les « Châssis » et les « Fenêtres » (1974-1975), où le tableau-objet subit un strip-tease ascétique : dénudé, il ne garde que son squelette. Ces travaux ne sont pas étrangers à ceux de Supports-Surfaces – plus particulièrement à ceux de Daniel Dezeuze. Toutefois, Buraglio, qui rejette par ailleurs la proposition de rejoindre le groupe, joue sur l’ambiguïté entre la toile vidée et l’objet de récupération qu’est la fenêtre. De même, un de ses travaux iconiques, Gauloises Bleues (1978), un panneau de taille importante, formé de vieux paquets de cigarettes [voir illustration], est motivé, selon l’artiste, par la volonté de « ramasser la couleur », et ne s’inscrit pas au sein de l’archéologie du quotidien, chère aux Nouveaux Réalistes. On peut réfuter que, cinquante ans plus tard, inévitablement, teintée d’un vernis nostalgique, l’œuvre s’approche de celles d’Arman ou de celles de Daniel Spoerri. Il n’en reste pas moins que Buraglio, même quand il s’engage dans un processus de déconstruction de la peinture, affirme que : « La peinture s’édifie sur ses ruines. » Autrement dit, avec ses investigations de Courbet, de Seurat ou de Cézanne, dont Aurélie Voltz, la directrice du musée, a su choisir les meilleurs exemples, Buraglio fait un retour non pas à la peinture mais sur la peinture.

Pierre Buraglio, Bas voltage 1960-2019,
jusqu’au 22 septembre, Musée d’art moderne et contemporain, rue Fernand Léger, 42270 Saint-Priest-en-Jarez.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°526 du 21 juin 2019, avec le titre suivant : Buraglio, un peintre hors cadre

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