BILBAO
Le Guggenheim offre un écrin aéré aux nombreuses œuvres du sculpteur et une mise en perspective réussie.
Bilbao. Il est à craindre que les œuvres emblématiques de Giacometti, ces hommes qui marchent, ces femmes qui résistent, tous ces personnages faisant partie de notre imaginaire collectif, finissent par s’épuiser, tant la directrice de la Fondation qui porte son nom leur fait parcourir le monde. Depuis sa nomination, Catherine Grenier se montre d’une activité débordante et leur fait visiter Londres, Shanghaï ou Rabat, entre autres. À Paris, des travaux du sculpteur suisse sont exposés au Musée Maillol, au Musée Bourdelle ou bien évidemment à la Fondation. Pour finir, l’année prochaine, une exposition, qui aura lieu au LaM à Villeneuve d’Ascq va encore voyager dans des contrées lointaines. On peut se demander si le public (au moins les Français) ne risque pas un burn out visuel. Selon sa directrice, une des missions de la Fondation est de faire connaître l’artiste dans des pays où il reste encore peu familier. Ainsi, l’exposition en Chine fut une grande découverte pour les visiteurs locaux.
Quoi qu’il en soit, la manifestation à Bilbao est exceptionnelle. Il est probable que ce lieu immense, donc difficile pour y accrocher des toiles, surtout de taille moyenne (on se souvient de celles de Bacon noyées dans ces vastes salles), se prête mieux à la sculpture. Même si la rétrospective de cet artiste à la Tate à Londres (2017) ou, il y a plus longtemps, « L’atelier d’Alberto Giacometti » au Centre Pompidou, (20O7), permettaient de parcourir l’ensemble de l’œuvre, l’espace magistral de l’architecture de Franck Gehry entre en résonance avec les pièces présentées.
Rien de révolutionnaire dans le parcours, qui reste chronologique. On y retrouve les œuvres cubistes et surréalistes qui correspondent aux premières années de l’artiste à Paris, son apprentissage avec Bourdelle ou sa rencontre avec l’art antique et primitif. Mais, toute l’originalité de l’exposition tient dans la manière dont elle met en scène le sujet d’expérimentation omniprésent chez l’artiste : la figure humaine. Sculptures de taille réduite ou monumentale : tout au long de sa carrière, Giacometti se pose inlassablement les questions de l’échelle de grandeur et de la bonne distance entre le spectateur et la représentation. Ici, c’est cette bonne distance qui fait que, aussi bien les figurines minuscules et frêles que les personnages allongés et filiformes respirent. Les premières sont posées sur d’élégants socles blancs, de taille imposante, qui accentuent leur fragilité. Les derniers sont disposés dans les salles immenses de Bilbao, parfois au centre, parfois le long des murs, mais toujours isolés pour mettre en évidence leur rapport avec l’espace et souligner leur solitude. Parmi les moments forts, les magnifiques Femmes de Venise (1956), ces huit plâtres, des formes qui semblent se dissoudre et se multiplier à la fois, comme surprises en pleine fusion.
Le parti pris d’éviter l’encombrement, le trop-plein, libère toute la puissance des toiles de Giacometti. Le visiteur, pénétrant dans une autre grande salle ne perçoit de loin qu’une silhouette dessinée à l’intérieur du rectangle tracé par l’artiste. Ce n’est qu’en s’approchant que l’on découvre que cette figure d’incertitude, faite de lignes nouées et dénouées, liées les unes aux autres par des liens rationnels et chaotiques à la fois, est une femme, qui échappe à une forme définitive et figée (Grand Nu, 1961).
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°514 du 4 janvier 2019, avec le titre suivant : Bilbao donne un souffle nouveau à Giacometti