Avec « La licorne et le bézoard », le Musée Sainte-Croix de Poitiers déroule l’histoire de ces collections d’objets rares ou étranges depuis le XVIe siècle.
POITIERS - Qu’y a-t-il de commun entre la licorne, ce bel animal fantastique prisé pour sa corne, et le bézoard, concrétion calculeuse se formant le plus souvent dans l’estomac de ruminants ? Utilisés comme antipoison, tous deux furent longtemps à l’honneur des cabinets de curiosités, ces espaces d’exposition privés où curieux, lettrés et puissants de ce monde accumulaient les merveilles produites par la nature, mais aussi par l’imagination humaine. Depuis une dizaine d’années, l’histoire de ces cabinets est l’objet d’un ambitieux travail mené par des chercheurs de l’université de Poitiers. Leurs recherches ont d’ores et déjà donné naissance à un riche site Internet (curiositas.org), tandis que l’exposition du Musée Sainte-Croix, à Poitiers, offre leurs résultats au grand public.
Transdisciplinaire puisqu’elle mêle histoire de l’art, littérature et sciences naturelles, l’histoire des cabinets de curiosités est abordée à travers sept espaces successifs, du XVIe au XXIe siècle. Conçue par les équipes du musée, la scénographie labyrinthique entraîne le visiteur dans des pièces étroites, qui rappellent l’atmosphère intimiste de ces lieux d’exposition. À la salle d’introduction, censée éveiller l’intérêt du visiteur pour le bizarre et l’exotisme en présentant, pêle-mêle, un reliquaire, une statue de la Grand’Goule (le dragon local) et des fléchettes empoisonnées, succèdent plusieurs évocations des fameux cabinets à différentes époques. Celui développé au XVIe siècle, où s’accumulent animaux empaillés, coraux, moulages, fossiles et petites antiquités, rappelle qu’un tel lieu se voulait le reflet de la diversité et de l’étrangeté de la Création. Il propulse le visiteur en un temps où les dents de narval sont encore des cornes de licorne et où les bézoards sont râpés pour lutter contre la mélancolie.
Le cabinet princier présenté plus loin, inspiré de celui du château d’Ambras (en Autriche), ne joue pas dans la même cour. N’y sont présentés que les objets jugés exceptionnels, par leur origine, leur nature et leur prix. Le célèbre Portrait d’Antonietta Gonsalvus par Lavinia Fontana (v. 1594-1595, musée du château de Blois), sans doute l’œuvre la plus fameuse, montre que cet amour de l’insolite ne se bornait pas aux objets. La petite fille atteinte d’hypertrichose, au visage couvert de poils, était, elle aussi, une « curiosité ».
Galerie des horreurs
Le parcours invite à la rencontre de différents collectionneurs. Paul Contant, apothicaire poitevin, se passionne pour les plantes et les objets du Nouveau Monde ; Nicolas Chevalier, riche commerçant et numismate du XVIIe siècle, rédige lui un catalogue descriptif de ses possessions tandis qu’il est l’un des premiers à ouvrir cet espace au grand public, moyennant un droit d’entrée.
Dernier cabinet présenté, celui du médecin anatomiste Frederik Ruytsch (1638-1731) a tout de la galerie des horreurs, entre bocaux suspects et sculptures faites de calculs et de squelettes de fœtus – évoquées ici par une gravure et un fac-similé. La présence de nombreuses reproductions et imitations ternit d’ailleurs quelque peu l’impression générale, et si le procédé d’immersion fonctionne plutôt bien, l’exposition peine parfois à refléter la richesse du travail de recherche accompli.
Le parcours fait enfin un bond de trois siècles pour proposer dans la dernière salle une « idée de cabinet » au XXIe siècle, fourre-tout ludique où se mêlent plus ou moins heureusement œuvres de Jan Fabre, photos de David LaChapelle et service de table à l’effigie de William et Kate. Le clin d’œil le plus pertinent est sans doute la Corne de rhinocéros montée de Jean-Michel Othoniel (2006), remplacée par une résine à la suite des vols récents de cornes de rhinocéros dans les musées, puisque cet attribut, comme celui des licornes autrefois, est, aujourd’hui encore, prisé pour ses prétendues vertus médicinales.
Commissariat : Anne Benéteau, directrice des musées de Poitiers ; Myriam Marrache-Gouraud, Pierre Martin et Dominique Moncond’huy, professeurs en littérature française, université de Poitiers
Nombre d’objets : environ 400
Jusqu’au 16 mars, Musée Sainte-Croix, 3 bis, rue Jean-Jaurès, et espace Mendès-France, 86000 Poitiers, tél. 05 49 41 07 53, tlj sauf le lundi, 10h-17h, 14h-18h le we. Catalogue, éditions Gourcuff Gradenigo, 512 p, 40 €.
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Bézoards et bizarreries
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Légende Photo :
Vue de l’exposition La licorne et le béozard, au Musée Sainte-Croix, Poitiers. © Musée Sainte-Croix
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°407 du 14 février 2014, avec le titre suivant : Bézoards et bizarreries