En une dizaine de salles et plus de 80 œuvres, le CAPC Musée d’art contemporain de Bordeaux consacre à l’artiste bordelais sa plus importante monographie à ce jour. L’institution confirme son rôle clé dans le paysage français.
Bordeaux. Que l’on s’engage dans l’exposition « Thèbes » par la droite ou par la gauche, c’est le même personnage qui nous accueille en nous auscultant à travers une loupe. Mathias (2012), une photographie d’un ami de l’artiste, qui tel le Sphinx fait du visiteur le sujet observé, celui qui devra résoudre l’énigme. Celui-ci est invité à choisir son chemin sur un principe dialectique et à parcourir l’exposition comme une quête du sens. Benoît Maire poursuit ici son travail de mise en forme de concepts philosophiques par l’art et envisage l’exposition comme champ d’interrogation métaphysique.
Ce projet ambitieux fait dialoguer avec brio plusieurs ensembles, notamment ses peintures de nuages, des éléments de mobilier, de nouvelles séries de sculptures (« Châteaux » et « Sphinx »), des films ainsi que des journaux anciens. Une diversité de médiums à laquelle répond un accrochage qui envisage chaque salle comme une possibilité d’exposition nouvelle. On circule entre théâtralité et white cube, musée d’art moderne ou de traditions populaires, environnement domestique et salle d’attente, éclairage du jour et pénombre de la caverne.
L’ensemble met en tension les processus discursifs dont les œuvres, en tant que produits d’une série de décisions, sont la matérialisation. Les éléments de rebut et autres reliquats d’atelier figurent à ce titre dans l’exposition. Ce sont ces Déchets indexés (2014-2018) balayés dans un coin, témoins en creux des sculptures ornant les socles. Celles-ci combinent des éléments naturels, comme les coquillages, à des instruments de mesure ou d’indexation. Apparaît là une tension entre la nature et sa mise à distance par les outils conçus pour la calculer, à l’image de l’exposition comprise comme zone de conflictualité. Comme par mise en abyme, les journaux de 1939-1945 affichés aux murs cernent l’espace d’une rhétorique militaire nous ramenant dans le miroir du présent. Conflit du corps et de l’esprit également : le mobilier (par nature indécidable entre art et utilitaire) sollicite les corps là où ces Mains de pierre désignent le firmament comme on s’adresse à l’esprit. Ces index levés empruntés au Saint-Jean Baptiste de Léonard de Vinci pointent l’ineffable autant qu’ils lancent une invitation à la jouissance.
Convoquant Emmanuel Kant dans cette zone de conflit, l’artiste explique que « l’art peut faire ciment social, car on peut échanger à son propos de manière libre ; la résolution des différends n’étant pas importante ». Et les questions abordées ici sont existentielles, comme celle qui sous-tend le film qu’il a réalisé pour l’exposition. Le Mot origine est l’histoire d’un homme pris dans la contingence qui, pour ne pas chercher de réponse, évacue « la » question en mangeant la poule et l’œuf.
Laissant le visiteur errer seul avec son estomac dans l’empire de l’énigme, Benoît Maire en tente pour sa part une résolution avec ses Peintures de nuages. Dans le ciel compris comme surface de projection, il précipite l’aridité du concept et la sensualité gestuelle dans la matérialité de la peinture à l’huile.
En concevant l’exposition comme un projet totalisant dans lequel le nuage, forme insaisissable par excellence, hisse l’évacuation du sujet au rang d’œuvre, l’artiste entend se situer au-dessus du conflit. Mais parvient-il pour autant à échapper à sa propre contingence, lui-même objet d’un processus historique de domination au cœur duquel se trouve un système de l’art dont il incarne la figure héroïque ?
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°498 du 30 mars 2018, avec le titre suivant : Benoît Maire, l’exposition comme totalité