Pour sa réouverture avec un nouvel opérateur, le Musée Maillol accueille une joyeuse et riche exposition sur Ben et sa fausse naïveté.
PARIS - Il serait paradoxal de prétendre que les mots manquent pour décrire les activités de Ben Vautier, dont la partie la plus connue de l’œuvre (artistique ?) est constituée de phrases (revendications, pensées, aphorismes) inscrites ou peintes sur des pancartes noires. La manifestation organisée par le Musée Maillol, plus qu’une rétrospective, est une véritable avalanche. Ben se fait brocanteur : il compile, amasse et entasse sans fin les objets, dans un bric-à-brac indescriptible qui fait songer au catalogue d’une quincaillerie aussi universelle qu’absurde ou à la liste d’un commissaire-priseur touche-à-tout. Une phrase, tracée de son écriture ronde et reconnaissable, résume sa démarche : « J’aime pas jeter. »
On reste un peu perplexe quant à la motivation du musée, d’habitude plutôt sage, de choisir pour sa réouverture un artiste jadis provocateur. Est-ce un changement de politique de la part des nouveaux responsables du lieu ou une manière intelligente de profiter de son exposition récente à Bâle ? Encore que l’on oublie parfois que le musée possède une importante collection de ready-mades, source d’inspiration principale de Ben. Cependant, à la différence de Duchamp, l’artiste niçois fait appel aux objets usés, ayant déjà leur petite histoire. L’œuvre désormais classique, Le Magasin (1958-1973), était, à ses débuts, une boutique où Ben vendait des disques d’occasion. Rapidement, l’endroit se transforme en un musée spontané où chaque chose supplémentaire est immédiatement incluse dans une collection hétéroclite et envahissante. Musée, mais également atelier et lieu de vie, qui s’inscrit dans la tradition dadaïste, remontant à Schwitters et à son Merzbau, une demeure d’artiste qui devient installation et œuvre d’art totale.
Des mots qui bousculent le statut de l’œuvre
Mais, ce sont surtout les liens avec Fluxus qui marquent la production plastique de Ben. Fluxus, cette appellation non contrôlée, renvoie immédiatement à la fluidité de ce mouvement d’avant-garde dont les activités, basées sur le courant et l’échange, ne supportent aucune limite. Ces regroupements à géométrie variable donnent lieu à de multiples réalisations éphémères : happenings, concerts, conférences, films ou encore objets en tous genres qui partagent ce qu’on peut appeler l’esprit Fluxus. Dès 1962, Ben rencontre George Maciunas et devient membre du groupe.
Le parcours donne ici l’occasion de découvrir de nombreux travaux qui alternent, à l’instar de Fluxus, dans le plus rigoureux désordre, collages, assemblages, traces de happenings – photos et documents. Avec Ben, le collage se fait bricolage, jeu d’enfant retrouvé et revu par l’imagination de l’artiste. Ainsi, Sculpture objet (disque folklore, 1963), est une « brochette » musicale : sur une tige en bois sont enfilés des disques. Ailleurs, dans la section « Sex Maniac », Ma boîte à fantasmes (1967-1993) est une malle ouverte, remplie de ce que l’on appellerait aujourd’hui des sex toys et des photographies – c’est une litote – suggestives.
Travailleur acharné, Ben n’arrête pas de (trop ?) produire. On peut trouver chez lui des répétitions et parfois des concessions à la commercialisation de ses produits. Il n’en reste pas moins qu’on reste impressionné par le nombre d’œuvres réalisées pour l’exposition. Les Petites Idées (2016) est une iconostase athée imposante, où des dizaines de panneaux et leurs slogans interpellent les spectateurs. Si tout est art, rentrez chez vous, L’art vous réveille, Parlez au miroir, Deux artistes pris au piège de la gloire, ne sont que quelques exemples de l’activité principale de Ben qu’il définit comme « Écrire, c’est peindre des mots ».
Non pas que la lettre soit absente de la peinture. Dans le passé, des mots ou des phrases tracés sur la surface des tableaux prodiguaient une information précise au spectateur. Au XXe siècle, l’écriture comme moyen de renouveler la pratique picturale est fréquente dès les premières avant-gardes. Des artistes contemporains introduisent dans leurs toiles des lettres et des mots isolés, des bribes de phrases sans se soucier de leur portée sémantique ou, comme les surréalistes, exploitent leur poésie. Pour Ben, les lettres, les mots remplacent l’image, tout en parlant le plus souvent de l’art. Avec une fausse naïveté, il questionne, provoque, fait appel à la dérision – surtout à l’autodérision. Bref il fait bouger les lignes. Artiste conceptuel ou amuseur public, on ne sait pas laquelle de ces deux définitions lui ferait le plus plaisir.
Commissaire : Andres Pardey
Œuvres : 200
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Ben, paroles, paroles, paroles...
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 15 janvier 2017, Musée Maillol, 61 rue de Grenelle, Paris 75007, tél 01 42 22 57 25, www.museemaillol.com, tlj 10.30-18.30, vendredi jusqu’au 21.30, en 12 €. Catalogue, 216 p. 35 €.
Légendes Photos :
Ben Vautier © photo Eva Vautier
Ben, Sculpture objet et boîte mystère, 1958-1962, assemblage d’objets, 105 x 60 x 50 cm, collection de l’artiste. © Ben.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°465 du 14 octobre 2016, avec le titre suivant : Ben, paroles, paroles, paroles...