Dans la mesure où une rétrospective de l’œuvre de Raphaël n’était pas envisageable, le Musée du Luxembourg, à Paris, a contourné la difficulté en évoquant, à travers l’art du portrait, sa recherche d’un idéal de grâce et de beauté. Desservie par un accrochage peu pertinent et une muséographie envahissante, cette exposition n’apportera rien à la gloire du peintre.
PARIS - Dès le mois de juillet, les affiches géantes ont fleuri dans les stations de métro, nous annonçant que d’ores et déjà il était possible de réserver ses places pour ce qui devait constituer l’événement de la rentrée. Mis au service de la communication du Sénat, le Musée du Luxembourg s’attache depuis deux ans à concevoir des expositions aussi fédératrices que possible, n’hésitant pas comme dans ce cas à user de ses soutiens politiques pour obtenir quelques prêts prestigieux. Néanmoins, il y a une certaine forme d’audace à choisir Raphaël, un peintre finalement plus connu qu’admiré. C’est un euphémisme de constater que l’Urbinate n’occupe pas dans l’imaginaire collectif une place comparable à celle de ses contemporains les plus célèbres, Léonard et Michel-Ange. Loin des visions de l’un et de la terribilità de l’autre, son art mesuré et équilibré, classique en un mot, n’a pas nécessairement les qualités recherchées par un œil moderne. En outre, ses œuvres ont constitué jusqu’à la fin du XIXe siècle l’étalon de la perfection académique et l’alibi de ses dérives “pompières” ; elles en ont longtemps gardé une marque d’infamie. Comme l’avait bien montré l’exposition de 1983, “Raphaël dans les collections françaises”, le malentendu était profond. Par ailleurs, organiser une exposition “Raphaël” se heurte à un obstacle de taille, car on ne saurait envisager sérieusement le déplacement des chefs-d’œuvre aussi insignes que La Transfiguration, La Madone Sixtine, La Sainte Cécile, La Vierge à la chaise ou encore les cartons pour la Tenture des Actes des Apôtres. Sans compter qu’une grande partie de la fortune critique de l’artiste s’est bâtie sur les fresques des Chambres du Vatican et de la Farnésine (passons sous silence les laides reproductions de ces œuvres qui concluent le parcours).
Conscients de ces difficultés, les commissaires de l’exposition, épaulés par un comité scientifique de haut vol, ont choisi de privilégier un aspect particulier de son travail et souhaité “illustrer, à travers les portraits, le développement stylistique de l’œuvre de Raphaël, où, dans l’idéal de la perfection ‘esthétique’ et ‘spirituelle’, les possibilités picturales formelles mais aussi symboliques et expressives font l’objet d’une constante exploration” (dossier de presse). Le parcours n’en commence pas moins par une évocation de sa carrière, avec les peintures religieuses comme le Saint Sébastien de Bergame ou le Christ bénissant de Brescia, ou encore un dessin préparatoire à La Vierge du Grand-Duc. Quant au superbe carton Moïse devant le Buisson ardent, réalisé pour la Chambre d’Héliodore au Vatican, il rappelle les travaux exécutés pour le pape. Dans l’espace suivant sont rassemblés quelques-uns des plus beaux portraits de Raphaël : Baldassare Castiglione et l’Autoportrait avec un ami du Louvre, La Dame à la licorne ou encore La Velata. La confrontation de cette dernière avec la Fornarina est censée constituer un temps fort de cette exposition, certains historiens ayant voulu voir un même modèle aux deux tableaux.
La Fornarina, dont l’attribution à Raphaël a pu être discutée par le passé, occupe une place à part dans son œuvre. Il y a, comme l’ont relevé de nombreux auteurs, à commencer par Stendhal, une certaine “irrégularité” dans cette figure, qui la prive de cette grâce si caractéristique de La Velata. Lisant l’œuvre à l’aune de Georges Bataille, Daniel Arasse considère, dans le catalogue, que les critiques souvent sévères formulées contre la Fornarina “ne peuvent être inspirées que par le travail de ‘souillure’ auquel Raphaël s’est lui-même livré par rapport à son type idéal”. L’artiste aurait fait “de la déformation de la beauté la marque du désir physique pour cette même beauté”. Ces analyses pénétrantes n’ont malheureusement pas leur place dans le parcours de l’exposition, dont l’appareil didactique est pour le moins simplificateur et la muséographie tout simplement calamiteuse. Alors que le Musée du Luxembourg est l’un des rares espaces d’exposition à bénéficier d’un éclairage zénithal, idéal pour la peinture, les salles ont été plongées dans l’obscurité la plus totale, seules les œuvres étant éclairées. Évidemment, les dessins ne supportent pas l’exposition à la lumière du jour, mais comme pour la plupart ils ne présentent qu’un rapport lointain avec les peintures, ils auraient pu être sans dommages présentés dans un espace spécifique. Tableaux accrochés trop bas et cartels placés loin d’eux n’arrangent rien. En outre, les scénographes oubliant toute humilité et toute mesure ont transformé le musée en basilique avec à l’entrée une vaste rotonde, puis une nef voûtée en berceau soutenue elle aussi par des colonnes, avant de déboucher sur un vaste espace dévolu à la Fornarina. Raphaël ne méritait pas ça.
- RAPHAËL : GRÂCE ET BEAUTÉ, jusqu’au 27 janvier, Musée du Luxembourg, 19 rue de Vaugirard, 75006 Paris, tél. 01 42 34 25 95, du mardi au jeudi 10h-19h, lundi et vendredi 10h-23h, samedi et dimanche 10h-20h. Catalogue, éd. Skira, 195 F.
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Beauté insaisissable
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°135 du 26 octobre 2001, avec le titre suivant : Beauté insaisissable