Après avoir exposé ses dessins en 1997, le Musée Maillol, à Paris, accueille aujourd’hui les peintures de Jean-Michel Basquiat, qui vécut trop vite et mourut fort jeune. Dix années d’une carrière fulgurante sont résumées en une soixantaine de tableaux grand format à découvrir sur trois étages.
PARIS - La légende Basquiat naît à la fin des années 1970, dans les rues mal famées de Brooklyn qu’un certain Samo (pour “Same Old Shit”, le pseudonyme que Basquiat utilise jusqu’en 1981) s’amuse à tagguer frénétiquement. L’artiste s’éteint en 1988 à Manhattan, sur fond d’héroïne et de “Factory” warholienne déjà orpheline de son maître depuis un an. Le jeune homme est fauché par la mort à 28 ans, à l’apogée de sa carrière. Entre Samo le taggueur et Basquiat le jeune prodige de la peinture des années 1980, il y a une rencontre déterminante avec Andy Warhol, ce révélateur de talents, ce magicien qui transforme en or tous ceux qui l’approchent. Rapidement, le style émancipé de Basquiat le propulse dans les plus grandes manifestations internationales. En 1982, il est le plus jeune artiste jamais exposé à la Documenta de Cassel. Ce qui attire chez lui, c’est une grande liberté picturale où se mêlent autant d’écritures et d’onomatopées que de collages, d’étranges personnages ou encore de motifs abstraits. Ses peintures se lisent comme des rébus agencés en urgence sur des supports variés comme la toile bien sûr, mais aussi des portes ou des volets de bois récupérés, voire un punching-ball sur lequel le nom de sa galeriste new-yorkaise apparaît. Les traces de pas, les coulures, les maladresses du trait soulignent la vivacité et la spontanéité du geste. C’est une peinture urbaine, loin de l’aspect sage et lisse de l’œuvre de Keith Haring ou de la Trans-avant-garde italienne de Clemente ou Sandro Chia. Basquiat emprunte autant au surréalisme, dont il aurait retenu l’écriture automatique, qu’à l’art dit “primitif”, à l’expressionnisme abstrait, ou encore au pop art par le biais de la bande dessinée. Se croisent dans ses compositions humour et sérieux. Figure récurrente chez Basquiat, la couronne stylisée affuble la plupart du temps les personnages de son propre panthéon. Elle symbolise l’héroïsme, l’un des traits de caractère que l’artiste place au-dessus de tout. Soucieux du combat que mènent les Noirs au sein de la société américaine, le peintre d’origine haïtienne rend régulièrement hommage aux ténors du jazz comme Miles Davies et Charlie Parker ou à des sportifs tel le joueur de base-ball Hank Aaron. On rencontre dans ses œuvres aussi bien des écorchés fraîchement sortis d’une planche d’anatomie, qui révèlent l’intérêt de Basquiat pour le corps, qu’un Superman, des alligators ou une Mona Lisa en forme de billet de banque grand format qui viendrait dénoncer le pouvoir de l’argent dans l’art. Curieusement, vers la fin de sa vie, ses personnages se mettent de plus en plus à évoquer la mort : les visages se transforment en crânes tandis que Basquiat se représente sous la forme d’un aplat de couleur sombre et grimaçant.
Mais ce que l’on retient surtout ici, c’est l’énergie qui jaillit avec puissance et liberté de cette œuvre haute en couleurs. Les toiles sauvent d’ailleurs l’exposition d’un accrochage tristement classique où les pièces s’enchaînent, sagement présentées les unes à côté des autres sur les cimaises. De la même manière, les points de vue socio-politiques que Basquiat y laisse transparaître résistent à l’engouement que lui portent aujourd’hui les vedettes du show-business. Le catalogue de l’exposition est d’ailleurs signé par le critique d’art Alain Jouffroy comme par l’acteur Johnny Depp, dont les commentaires sont loin d’être inintéressants.
L’exposition est cependant victime de son succès. Entre bousculades, groupes de scolaires et autres conversations à voix haute, il est difficile de se concentrer sur le mythe Basquiat, ou destin d’un artiste mort prématurément comme dans les meilleures légendes, de James Dean à Jimmy Hendrix.
Jusqu’au 23 octobre, Fondation Dina-Vierny, Musée Maillol, 59-61 rue de Grenelle, 75007 Paris, tél. 01 42 22 59 58, tlj sauf mardi 11h-18h.
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Basquiat Factory
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°177 du 26 septembre 2003, avec le titre suivant : Basquiat Factory