La 7e édition d’un concours ouvert aux étudiants et jeunes diplômés a pris pour thème la lutte contre la fracture numérique. Plus d’une vingtaine de leurs microarchitectures sont exposées à la Cité de l’architecture et du patrimoine.
Paris. Dans le jargon de la téléphonie sans fil, une « zone blanche » désigne un territoire qui n’est pas couvert par un réseau de téléphonie mobile ni par Internet. On pense de facto à ces aires rurales à la densité d’habitants extrêmement faible sur lesquelles les opérateurs renâclent à déployer leurs antennes. Or, certains secteurs urbains sont eux aussi concernés. D’où le thème « Les oubliés d’Internet » de ce concours biennal proposé aux étudiants en fin de cursus (en architecture, design, art, paysage, ingénierie) et aux jeunes diplômés depuis un an maximum, invités à « concevoir des microarchitectures conviviales pour créer de l’inclusion numérique dans les communautés rurales ou les zones urbaines sensibles ». Objectif : « Recréer une vie de quartier autour d’un module technologique mobile, un objet hybride autonome qui offrirait un espace à la fois d’information, de formation et de divertissement. »
Sur les 150 projets reçus, 21 ont été sélectionnés et sont détaillés sous la forme de dessins, films d’animation et maquettes, dans cette exposition présentée à la Cité de l’architecture et du patrimoine. En regard, un film dévoile une quarantaine de micro-projets à travers le monde, tels ce « tank littéraire », véhicule de guerre détourné en bibliothèque ambulante par l’artiste argentin Raul Lemesoff et joliment baptisé Arme d’instruction massive, ou le « Centre Pompidou mobile », structure d’exposition itinérante conçue en 2011 par les architectes Patrick Bouchain et Loïc Julienne.
Le moins que l’on puisse dire est que l’imagination fonctionne chez cette nouvelle génération, qui respecte néanmoins scrupuleusement le cahier des charges, en l’occurrence : une « cellule » transportable sur une plate-forme mobile du genre camion plateau, châssis de caravane ou remorque.
Une multitude de microarchitectures regorgent ainsi d’astuces, que ce soit dans leur fabrication, leur transport ou leur usage/fonctionnement. La microarchitecture peut être simple, comme « Le Panier connecté » du trio Rouillon/Plotu/Barde (École Boulle, Paris), dont les stands démontables reprennent l’identité et les codes des marchés des places de village, afin que les habitants puissent expérimenter dans un cadre rassurant ce monde numérique a priori rebutant. Ou plus sophistiquée, ainsi de cette « E-House nomade » de Zyad Belhaj et Sophie McCulloch (École nationale supérieure d’architecture de Bordeaux), roulotte 3.0 aux formes arrondies, tout en bois, y compris le mobilier. Idem, dans une esthétique nettement plus anguleuse, avec la caravane « Open Co » d’Aubin Prost (École nationale supérieure d’architecture de Clermont-Ferrand), qui offre, à l’intérieur, une grande table pouvant accueillir 8 participants plus un animateur, ainsi qu’une multitude de rangements fonctionnels pour ordinateurs, tabourets, vêtements, branchements… Une fois la formation dispensée et la table repliée, ce « plateau sur roues » peut se métamorphoser en scène couverte. C’est le cas pour nombre de propositions : l’espace, adaptable à l’envi selon les besoins ou le moment, devient, au choix, une « e-école », une bibliothèque numérique, un espace de coworking, une salle d’exposition voire… de cinéma.
Si les dimensions de ces projets sont importantes, la volonté de certains créateurs est de se tenir au plus près des futurs utilisateurs. Ce qui implique des modules à une échelle moindre, nécessitant pour leur déplacement la seule force des mollets. Les deux réalisations les plus remarquées, qui sont d’ailleurs les seules à avoir fait l’objet d’un prototype grandeur nature, font appel à cette énergie humaine. Les « Ordinambules » (Briard/Prunet/Rivillon, lycée Eugène-Livet de Nantes) sont trois modules pouvant être tractés par des vélos, qui s’emboîtent ou se déploient selon le terrain disponible, et offrent un pôle d’information et d’accueil ainsi que deux pôles d’accompagnement et de cours particuliers. Le « Mobilab » [voir ill.] de Victor Bois (École supérieure d’art et de design de Reims), cette petite remorque amusante d’à peine 2 mètres de long sur 1,15 de large – ce qui lui permet d’emprunter une piste cyclable – est un dispositif lui aussi vélotracté pouvant embarquer ordinateurs, consommables et même quelques machines de prototypage rapide, telles une imprimante 3D ou une brodeuse numérique ; une fois déployé, il permet d’accueillir 6 personnes. Autant de preuves que ces micro-architectures pourraient, à leur humble échelle, être l’un des moyens de remédier à la fracture numérique.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°541 du 13 mars 2020, avec le titre suivant : Aux oubliés d’Internet