VILLENEUVE-D’ASCQ
Ils n’avaient jamais touché un pinceau. L’un, Augustin Lesage, était mineur de fond comme son père.
Un jour, sous terre, il entendit une voix lui enjoignant de devenir peintre : « N’aie crainte. » Le deuxième, Victor Simon, tenait un café dans le Pas-de-Calais lorsqu’il entendit le même appel. Le troisième, Fleury-Joseph Crépin, plus jeune d’une génération, était plombier-zingueur, quincailler et amateur de musique lorsque des esprits lui révélèrent, en 1939, que la paix reviendrait lorsqu’il aurait peint trois cents tableaux. Ils obéirent et vouèrent leur vie à la peinture. Qu’importe s’ils n’y connaissaient rien. Ils ont expliqué que des esprits guidèrent leur main, les poussant à exécuter des toiles qui nous enveloppent par leur monumentalité (pour Lesage et Simon) ou par leur nombre (pour Crépin, qui a réalisé certaines années plus de soixante toiles). Toutes ont en commun une composition symétrique, teintée d’orientalisme avec des motifs empruntés aux traditions chrétienne, hindoue ou encore pharaonique, avec un souci du détail poussé à son paroxysme. Le LaM nous plonge dans la création de ces enfants du pays, devenus des représentants majeurs de cette peinture spirite qui se déploie à partir du milieu du XIXe siècle, jusqu’à éveiller l’intérêt d’André Breton puis de Jean Dubuffet, qui l’inclura dans l’Art brut. D’une salle à l’autre, leurs étranges architectures sacrées et les figures hypnotiques qui les peuplent se répondent et se font écho. On se retrouve comme dans un labyrinthe, avec pour fil d’Ariane un questionnement sur le mystère de la création de ces artistes qui développent parallèlement des dons de guérisseur. On peut, sans doute, être sceptique sur la réalité des esprits qui les guident. Il n’empêche : on se retrouve au LaM comme dans une caverne dont leurs peintures seraient des ouvertures vers un monde flamboyant, qui ne serait pas simplement matériel. Comme si Lesage, Simon et Crépin, du fond de leur univers minier, étaient des héritiers nordiques de Platon ou de ces artistes de la préhistoire qui apposaient leurs mains sur les grottes pour, peut-être, en traverser les parois et entrer en contact avec un monde spirituel.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°729 du 1 décembre 2019, avec le titre suivant : Aux frontières du réel