Ou comment la société parisienne, au sortir de la Terreur, entame une période d’euphorie créative.
PARIS - À travers le thème des Merveilleuses, l’exposition du Musée Carnavalet retrace les dix années séparant la Révolution de l’Empire, de 1794 à 1804. En effet, ces femmes sensuelles en tenue néoclassique sont à l’image de la société parisienne exubérante des régimes du Directoire et du Consulat. Mais les transformations que connaît alors Paris sont loin de se limiter au domaine vestimentaire. Mobilier, gravures, peintures, costumes et objets d’art, quatre cents œuvres en témoignent. Dans une scénographie recréant un passage couvert – grande innovation urbaine du Consulat –, le visiteur déambule entre les boutiques, chaque vitrine déclinant un thème.
Après l’austère régime de la Terreur, de nouvelles fortunes se distinguent. En opposition totale à la Révolution et au jacobinisme, cette société originale forge son propre quotidien, axé sur l’opulence, l’insouciance et la frivolité, avec sa cohorte de nouveaux personnages : fournisseurs aux armées, agioteurs, Merveilleuses… et leur version masculine, les Incroyables. Les codes vestimentaires contemporains se transforment : perruques blondes, cravates vertes, coiffures en cadenette, collets noirs, culottes pochées, bas rayés. Tandis que le costume masculin suit le goût anglais, celui de la femme reprend la mode à l’antique. Les estampes et gravures du Musée Carnavalet illustrent le renouvellement de la vie sociale au XVIIIe siècle, dont la Chaussée d’Antin était le quartier de prédilection. Le boulevard des Italiens, les parcs de Monceau ou de Bagatelle, les cafés et salons parisiens deviennent des lieux d’attraction à la mode. Les nouveaux riches s’amusent sur les balançoires et Jean-Baptiste Isabey se plaît à les représenter dans ses dessins à la plume. La gastronomie séduit et certains cuisiniers ouvrent leurs propres restaurants. « Les Meot, les Véry, les Léda, autrefois marmitons, aujourd’hui presque millionnaires », écrit Grimod de La Reynière, dans l’Itinéraire nutritif en 1803. Cette période connaît une « dansomanie ». Valse gavotte, bal de l’opéra, bal masqué : 1 800 bals sont organisés quotidiennement ! L’eau-forte d’Adrien Godefroy, Le Thé parisien, Suprême Bon Ton au commencement du XIXe siècle, montre les us et coutumes de l’époque.
L’influence de l’Antiquité et de la civilisation égyptienne
Le goût changeant, les intérieurs parisiens évoluent. Les pièces structurées privilégient les éléments architecturaux : pilastres, colonnettes, bas lambris, frises, cheminées et trumeaux obéissent aux règles épurées de la symétrie. L’influence de l’Antiquité depuis les fouilles de Pompéi et d’Herculanum et l’intérêt pour la civilisation égyptienne dès la campagne d’Égypte se retrouvent dans les arts décoratifs, comme ce lavabo en bronze doré, à décor de rinceaux et de palmettes d’après les dessins de Percier et Fontaine. Le lit de repos de Madame Récamier en noyer massif et placage d’espénille et amarante permet également d’apprécier le travail des frères Jacob, initiateurs du trépied. Les décors en vogue sont naturellement ceux réalisés pour les personnages les plus en vue comme Juliette Récamier, Joséphine Bonaparte et Théresia Thallien.
Une telle effervescence engendra des excès, notamment la théophilantropie qui, déclarée religion officielle, s’apparentait davantage à une secte déiste. Une mode saugrenue interdisait la prononciation des lettres « r » et « l ». Néanmoins, d’importantes réformes ont perduré. Nous devons à cette époque le système métrique, le code civil, le conservatoire de musique et le Louvre, l’un des premiers musées d’Europe. L’exposition « Au temps des Merveilleuses » évoque le courant de liberté qui replaça durablement la capitale au cœur de l’Europe artistique et intellectuelle.
jusqu’au 12 juin, Musée Carnavalet, 23, rue de Sévigné, 75003 Paris, tél. 01 44 59 58 58, www.carnavalet.paris.fr, tlj sauf lundi et jours fériés 10h-18h. Catalogue, éd. Paris-Musées, 45 euros.
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Au temps des Merveilleuses
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°211 du 18 mars 2005, avec le titre suivant : Au temps des Merveilleuses