France

Au gré de ces « inspirés des bords des routes »

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 5 juillet 2016 - 948 mots

On recense en France environ 200 environnements d’art populaire créés par ceux que l’on nomme les « bâtisseurs de l’imaginaire » ou « habitants-paysagistes ». Découverte de six de ces lieux magiques.

À l’aide de matériaux de récupération, des rebuts de notre société de consommation, ils bâtissent la maison et le jardin de leurs rêves et peuplent leur environnement de drôles de sculptures, souvent pleines d’humour et de féerie.

Quel est le message de ces « fadas », de ces « fous » indifférents au jugement de leurs contemporains coincés dans la routine de leur quotidien ? « Libérez-vous de vos carcans, inventez librement. D’autres vous suivront et inventeront à leur tour leur façon d’habiter le quotidien et la cité, mais aussi la mémoire », répondent Savine Faupin et Christophe Boulanger dans l’ouvrage D’étonnants jardins en Nord-Pas-de-Calais (2015, éd. Lieux Dits).

Inspiré du bord de la route départementale 129, Gabriel Albert s’est forgé son petit monde poétique à Nantillé, près de Saint-Jean-d’Angély en Charente-Maritime. Son jardin sculpté, étonnante accumulation de près de 400 statues, a été réalisé entre 1969 et 1989. Né en 1904 à Nantillé, cet ancien menuisier a d’abord construit de ses mains une petite maison, dont il a réalisé le décor et le mobilier, et un moulin. La retraite venue, il crée des statues d’animaux puis des bustes humains, réalise des bancs, des vasques, des pots. Ses personnages et scènes s’inspirent de la vie villageoise mais aussi de grandes figures de l’histoire, de la vie de l’église ou de la vie politique et artistique. Les visages de ces statues oscillent entre bonhomie et jovialité, douceur et gravité.

Contemporain de Gabriel Albert, Raymond Isidore dit « Picassiette » est né en 1900. En 1929, il acquiert un terrain à Chartres (Eure-et-Loir) et y construit sa maison. Un jour, il découvre en se promenant des petits bouts de verre, des débris de porcelaine et de la vaisselle cassée. Avec ces matériaux, le balayeur au cimetière de Chartres commence à faire de la mosaïque. Pendant vingt-cinq ans, il recouvrira de ces fragments colorés les murs, sols et plafonds de sa maison, mais aussi ses meubles. Sur un terrain adjacent, il conçoit un jardin qu’il décore et y construit un tombeau bleu, le Tombeau de l’esprit. « L’esprit m’a dicté ce que je devais faire pour embellir la vie. Beaucoup de gens pourraient en faire autant, mais non : ils n’osent pas », explique-t-il alors. Classée monument historique en 1983, la Maison Picassiette serait, aujourd’hui, le deuxième monument le plus visité de Chartres après la cathédrale.

Un Jardin des méditations
« Embellir la vie » était aussi une aspiration de Robert Tatin. Né en 1902 à Laval (Mayenne), l’ouvrier peintre-décorateur n’a de cesse d’appendre de nouvelles techniques artistiques. Il étudie le dessin et la peinture aux Beaux-Arts de Paris et à l’atelier de fresque de l’École des arts appliqués, puis se forme au métier de charpentier, avant de créer son entreprise de bâtiment à Laval en 1930. En 1962, après avoir beaucoup baroudé, il acquiert une maison ancienne à Cossé-le-Vivien (Mayenne) où il construit sa « Maison des champs », une œuvre monumentale, véritable « pont entre l’Orient et l’Occident ». En 1967, son « Jardin des méditations » se peuple de 20 géants en ciment armé et coloré, disposés le long du chemin qui dessert son espace de vie et de travail. Les murs qui ceignent le musée sont ornés de bas-reliefs qui plongent le visiteur dans les mythes et légendes fondateurs des grandes civilisations de l’Orient et de l’Occident. On trouve un peu plus loin, dans la Frénouse de Robert Tatin, de petits personnages sculptés, plantés autour d’un bassin central en forme de croix d’où jaillit Notre-Dame-Tout-Le-Monde.

Une fois leurs créateurs disparus, ces environnements sont souvent menacés de ruine ou de disparition s’ils ne sont pas entretenus et pris en charge par une association de sauvegarde ou une collectivité. En forêt de Fontainebleau, le Village d’art préludien de Chomo est, lui, entre de bonnes mains. Une équipe d’étudiants bénévoles de l’École supérieure des beaux-arts de Nantes poursuit, au mois de juillet, les travaux de restauration du Refuge entamés l’an passé. Pour fêter ce deuxième chantier, le public est convié à un concert donné dans l’église des Pauvres, le samedi 16 juillet après-midi.

Habitants-paysagistes d’aujourd’hui
Robert Coudray, dit « le poète ferrailleur », est lui aussi un « bâtisseur de l’imaginaire ». Né en 1954 en Bretagne, cet homme qui a exercé tous les métiers (tailleur de pierre, paysan, crêpier, aubergiste, photographe…) se présente comme « Diplômé des Hautes Études buissonnières de bricoleur poète ». Depuis plus de vingt-cinq ans, il crée, au gré de ses « rêveries vagabondes » et à l’aide d’objets récupérés, des sculptures animées, des totems de vent, des fontaines musicales et autres jardins magiques. Son dernier rêve ? Construire sa « Cathédrale éveillée ». « Elle ressemblera à nulle autre, mais elle a la même ambition : être un haut-parleur du divin. J’y mettrai les années et la foi qu’il faudra. De briques et de brocs, de tôles rouillées, elle sera ce qu’elle sera. »

Planté sur le causse de Sauveterre, en Lozère, « Utopix » est à la fois une habitation, une maison-sculpture et un musée où sont exposées les œuvres de Jo Pillet. Ce peintre et sculpteur a construit, de 1979 à 1988, pour lui et sa famille, « une habitation architecture vitale » toute en courbes. Ses drôles d’igloos sont faits de parpaings recouverts de pierres. Depuis 1993, le lieu est ouvert au public. On peut visiter une partie de la maison et découvrir, autour, ses sculptures en formes de bêtes imaginaires et un parc de jeux, lui aussi entièrement fait de ses mains.

À lire

Itinéraire d’art singulier en France : guide de 28 monuments, musées, maisons pas comme les autres, éd. Le Palais idéal du Facteur Cheval, 1 €. Disponible dans les 28 lieux et monuments répertoriés et à la Librairie de la Halle Saint-Pierre à Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°461 du 8 juillet 2016, avec le titre suivant : Au gré de ces « inspirés des bords des routes »

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