Au-delà du folklore

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 1 janvier 2005 - 392 mots

« La photographie aura imposé le principe selon lequel il ne peut y avoir d’histoire sans instant », telle est la dernière phrase de L’Instant monument, ouvrage où Vincent Lavoie, commissaire d’« Images premières », argumentait en 2001 le statut et le rôle de l’icône photographique « du fait divers à l’humanitaire ».

Un extrait quasiment prophétique lorsqu’on se promène dans l’exposition quelque peu ascétique organisée à partir du fonds du musée McCord de Montréal, reliquaire de la mémoire canadienne et conteur de son histoire. Des milliers de photographies, entre autres documents de la construction de ce gigantesque pays, fondé il y a de cela quatre cents ans qu’il a fallu fouiller pour tomber sur « la » photographie qui scella le sort de l’union canadienne. La pose du dernier crampon de la ligne ferroviaire transcontinentale, un 7 novembre 1885, à 9 h 22 du matin. Une heure en acte de naissance, une précision d’acte photographique, un cérémonial qui fit du coup basculer ce moment anodin pour les Européens, dans l’Histoire majuscule. L’instant décisif bien que mis en scène pour l’objectif, à une époque où l’instantané n’est pas encore normalisé, ne cessera d’être repris, rejoué, mimé au fil du XXe siècle comme en témoignent les documents exposés à Paris. Les caricatures, objets de culte plutôt païens comme cette bouteille de whisky, relique enchâssant un fragment de l’ultime rivet, illustrent le besoin idéologique d’un peuple né de l’hybridation culturelle. Au passage, l’exposition en profite pour interroger le principe même de commémoration, de la représentation nationale d’un état uni par un geste prosaïque mais ô combien ! symbolique. Comme aux États-Unis, l’achèvement de travaux ferroviaires aussi titanesques signalait autant la victoire de l’homme sur la nature que la promesse d’un futur accéléré, une conquête technologique qui appelait celle plus pragmatique de l’économie. D’ailleurs les documents d’époque ne sont pas dupes : « Cette union politique et commerciale nous a donné la conscience du pouvoir que nous possédons ; ce pouvoir nous donne aussi la volonté d’assumer des responsabilités de plus en plus grandes à condition qu’elles aboutissent à des avantages politiques et commerciaux à caractère national... » Pas surprenant dès lors que la cohésion nationale soit baignée par les paradoxes : le musée McCord d’histoire canadienne n’est-il pas installé au Québec, province secouée périodiquement par des tentations indépendantistes ?

« Images premières. Mutation d’une icône nationale » PARIS, centre culturel canadien, 5 rue de Constantine, VIIe, www.canada-culture.org, jusqu’au 30 janvier.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°565 du 1 janvier 2005, avec le titre suivant : Au-delà du folklore

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