Le Musée Sainte-Croix à Poitiers réhabilite cet oublié de l’histoire de l’art.
POITIERS - Si le règne de François Ier s’ouvre en 1515 sur la brillante victoire de Marignan, il manque de sombrer, dix ans plus tard, lorsque le jeune monarque subit le cuisant échec de la bataille de Pavie face aux troupes de Charles Quint. Cette brève période correspond à l’éclosion de la première Renaissance française, nourrie des contacts avec l’art de la Péninsule grâce aux guerres d’Italie. Elle est aussi celle de la construction du château de Bonnivet, dont Rabelais fit mention dans Gargantua. Situé sur la commune de Vandeuvre (Vienne), à une quinzaine de kilomètres de Poitiers, celui-ci fut érigé sur les terres de Guillaume II Gouffier, amiral de France et frère d’Artus Gouffier, propriétaire du célèbre château d’Oiron (Deux-Sèvres). Alors que François Ier faisait travailler Léonard de Vinci au projet de Romorantin (Loir-et-Cher), Gouffier entreprit la construction d’un grand château moderne, aux façades percées sur un rythme presque régulier. Le morceau de bravoure de Bonnivet fut cependant le grand escalier, conçu sur la forme traditionnelle d’une vis, mais intégré dans le corps du bâtiment et doté d’une large claire-voie. L’ensemble fut orné d’un prestigieux décor sculpté.
La mort de Gouffier sur le champ de bataille de Pavie – il resta célèbre pour sa « charge molle » – provoqua le coup d’arrêt du chantier. Après plusieurs décennies d’abandon, le domaine fut racheté au XVIIe siècle par la famille de Mesgrigny, qui relança les travaux et fit restaurer l’aile du XVIe siècle. En 1788, il fut vendu à un affairiste qui le transforma en carrière de pierre. Commença alors le lent dépeçage de ce précieux témoignage de la Renaissance poitevine, qui disparut des mémoires faute d’avoir été gravé par du Cerceau, lequel perpétua la connaissance de nombreuses résidences détruites de cette période. Grâce à la Société des antiquaires de l’Ouest, qui put acquérir quelques beaux morceaux de sculpture, le Musée de Poitiers en détient aujourd’hui un bel ensemble, complété par des dépôts de longue durée du Musée national du Moyen Âge (Paris).
Ces sculptures font aujourd’hui l’objet d’une première grande exposition temporaire, enrichie de quelques prêts du Musée du Louvre. Celle-ci n’aurait toutefois pas été possible sans le concours de Jean Guillaume, professeur émérite d’histoire de l’art à la Sorbonne, auteur d’un minutieux travail de thèse sur Bonnivet resté jusque-là inédit et qui a pu être publié grâce à cette présentation temporaire. Habilement mis en scène, ces vestiges architecturaux y retrouvent un sens. Mais l’exposition permet surtout d’apprécier le détail et la finesse du travail de sculpture, réalisé par une équipe d’artistes demeurés anonymes. Outre la récurrence de certains motifs propres à la famille Gouffier, ces reliefs dénotent d’un goût pour l’hybridation, mêlant les références gothiques et le vocabulaire des ordres d’architecture, importé d’Italie. Cet art prolifique, qui fut le propre de cette première Renaissance française, connut à Bonnivet l’un de ses sommets. Il était temps que l’histoire de l’art lui rende sa place légitime.
Jusqu’au 3 septembre, Musée Sainte-Croix, 61, rue Simplicien, 86000 Poitiers, tél. 05 49 41 07 53, lundi 13h15-18h, mardi-vendredi 10h-12h, 13h15-18h, mardi jusqu’à 20h, sam-dim 10h-12h, 14h-18h. À lire : Jean Guillaume, Le Château de Bonnivet, éd. Picard, 2006, 160 p., 38 euros, ISBN 2-7084-0772-4
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Au château de Bonnivet
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire : Anne Péan - Scénographie : Nicolas Soulabail
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°240 du 23 juin 2006, avec le titre suivant : Au château de Bonnivet