Lemmen, longtemps méconnu mais toujours prisé, a aujourd’hui l’honneur d’une fort belle rétrospective témoignant que la qualité d’une œuvre n’a pas nécessairement de lien avec son originalité.
BRUXELLES. Georges Lemmen est-il un grand peintre belge de la fin de siècle ? Si telle devait être la question à poser, force serait de reconnaître qu’une large part de l’inspiration de Lemmen lui échappe. Et c’est sans doute ce qui en fait aujourd’hui l’intérêt. Le peintre, né en 1865 et mort en 1916, a participé au cercle des XX et à la Libre Esthétique de Maus. Fort de ces lettres de noblesse ès modernité, l’évolution de cet artiste attachant a d’emblée été placée sous le signe des influences : celle de Khnopff et des préraphaélites, puis de Lautrec et de Degas en un naturalisme expressif, sinon pré-expressionniste. Le grand moment de l’œuvre de Lemmen sonnera, en 1890, avec la découverte de Seurat et du Néo-impressionnisme. Après avoir pointillé quelques étés, il se détournera de la peinture pour participer au formidable engouement pour les arts décoratifs qui marque le passage à la Libre Esthétique. Quelques années plus tard, visiblement fatigué et quelque peu déçu du manque de reconnaissance, Lemmen revient à la peinture pour adopter un style nabi fait d’intimité et de suavité. On le voit, Lemmen n’est ni Khnopff, ni Lautrec, ni Seurat, ni Van de Velde, ni Vuillard. Son œuvre oscille au gré des modes qui, en marge du grand public, agitent les avant-gardes. Une rétrospective Lemmen s’imposait néanmoins. Elle permet d’appréhender la personnalité de l’artiste et de saisir, ici ou là, la cohérence d’une œuvre qui relève davantage du "beau métier" que de la réelle inspiration. Georges Lemmen est un peintre de qualité et un dessinateur sensible, comme en témoignent nombre de toiles ou de dessins exposés. Peut-être y aurait-il ici matière à revoir certains jugements modernistes fondés sur l’originalité de l’idée initiale. En effet, face aux portraits néo-impressionnistes de Lemmen réunis en une belle cimaise, le visiteur pourra prendre la mesure de l’échec d’un Seurat lorsque ce dernier applique de façon rigide ses préceptes chromo-luminaristes aux corps de ses Poseuses. Si Lemmen n’a sans doute pas compris grand chose du message de Seurat – mais qui l’a finalement compris ? –, il en a adapté les principes en une image de qualité. L’objet soumis à la lumière reste un visage, et la peau ne peut masquer sous la caresse des rayons du soleil la profondeur d’une existence intérieure. Académique, ces portraits le sont par certains aspects. Mais ils sauvent l’intimisme d’un être qui se livre. Cet animisme définit sans doute l’essentiel de l’œuvre de Lemmen : une recherche sensible loin des mots d’ordre, un dialogue avec le métier et l’illusion d’adhérer à son temps.
GEORGES LEMMEN, jusqu’au 13 juillet, Musée d’Ixelles, 71, rue Van Volsen, Bruxelles, tél. 32 511 90 84, tlj sauf lundi 13h-19h, samedi et dimanche 10h-17h. Catalogue en français et en néerlandais publié par Snoeck-Ducaju, 200 p., 1 200 FB.
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Au bonheur des dames
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°40 du 13 juin 1997, avec le titre suivant : Au bonheur des dames