La Wiener Werkstätte s’installe dans la ville du palais Stoclet.
BRUXELLES - « De nos jours, nous avons assez d’artistes, et nous avons aussi les artisans, tout cela manque d’organisation. Ce dont nous avons besoin, c’est de créer un lien à grande échelle entre l’art et l’artisanat […] », écrivait Hermann Bahr à Vienne en 1899. C’est sur le constat d’un manque que débuta l’une des grandes aventures décoratives du siècle passé : celle de la Wiener Werkstätte (WW), fameux atelier de création viennois fondé en 1903 par l’architecte Josef Hoffmann et par l’artiste Koloman Moser, avec les fonds de l’industriel Fritz Wärndorfer. La formule de Bahr figure d’ailleurs tel un slogan dans l’exposition du Palais des beaux-arts de Bruxelles intitulée « Le désir de la beauté ». Cette vaste rétrospective arrive en réalité tout droit de Vienne, en Autriche, où elle avait été produite en 2003 par le Musée des arts appliqués (MAK), à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de la WW. En outre, l’ensemble est ici agrémenté d’un volet supplémentaire consacré à l’un des projets les plus emblématiques de la WW (sinon son édifice phare), construit non pas à Vienne, justement, mais à Bruxelles : le palais Stoclet.
Abondance de biens
Au total, plus de mille pièces – dessins, photographies, productions graphiques en tout genre, vêtements, textiles, bijoux, céramique, vaisselle, mobilier, architecture… – racontent une histoire assez complète des quelque trente années d’activité (1903-1932) de la WW, à travers une chronologie classique qui se déroule en trois temps. L’exposition évoque d’abord les racines artistiques et idéologiques de la WW (1895-1903), en particulier l’influence du mouvement Arts & Crafts. Elle décortique ensuite les parallèles entre production artisanale de luxe et production mécanique en série et entre esthétique du quotidien et accessibilité économique (1900-1910). Elle s’achève, enfin, par la remise en question fondamentale du modernisme (1910-1930), qui aboutira à une scission entre les tenants de l’expression artistique pure et les partisans d’une réponse aux besoins d’une société démocratique.
Dans cette abondance de biens – quelle générosité ! –, il y a évidemment des œuvres maîtresses : les décors de Koloman Moser pour l’avant-gardiste cabaret Fledermaus, les céramiques très modernes de Bertold Löffler, une amusante lithographie-jeu, Die Jagd [La Chasse], sans oublier, évidemment, une multitude de pièces signées Josef Hoffmann : un élégant service à thé en argent et acajou, une ceinture aux anneaux d’argent, un collier en or et ivoire, le service Black Bronzite, ou les plans du sanatorium de Purkersdorf (à l’ouest de Vienne) déclinés sur un papier quadrillé – le carré étant la forme fétiche d’Hoffmann…
L’exposition bute néanmoins sur deux écueils de poids.
Le premier sourd de cette scénographie faite d’échafaudages de chantier et due à l’artiste autrichien Heimo Zobernig, auteur également de la mise en scène de la rétrospective viennoise en 2003. L’ensemble des pièces était alors réparti dans des « vitrines » qui, spatialement, reprenaient la signature de la WW, en l’occurrence deux « W » imbriqués l’un dans l’autre. Le problème, à Bruxelles, réside moins dans le radicalisme des échafaudages que dans une complexité superflue. Faute de place, l’installation n’a pu être reproduite à l’identique. Le double « W » a donc été « éparpillé façon puzzle » aux quatre coins du musée, réduisant à néant, sinon à l’anecdote, l’idée du logo en relief.
Le second écueil est la fausse bonne surprise que réservent les trois salles dédiées au palais Stoclet.
Commandé à Josef Hoffmann par Adolphe et Suzanne Stoclet et construit dans les faubourgs de Bruxelles (aujourd’hui au no 281 de l’avenue de Tervuren), cet édifice symbolise à l’envi l’utopie d’œuvre d’art total de la WW. Or, depuis son achèvement en 1911, très peu de choses ont en fait quitté la bâtisse. Et les descendants Stoclet préfèrent, pour l’heure, garder le palais – et ses trésors – fermé comme une huître. On devra donc se contenter d’esquisses et de maquettes de travail, de meubles plus ou moins analogues… Bref, on tourne autour du sujet sans jamais vraiment y entrer. D’où une légère frustration. Et rien n’y fera pour la dissiper. Pas même, en fin de parcours, l’œuvre joyeuse et excentrique de l’artiste Dagobert Peche. Dommage !
Jusqu’au 28 mai, Palais des beaux-arts, 23, rue Ravenstein, Bruxelles, tél. 32 2 507 84 30, www.bozar.be, tlj sauf lundi, 10h-18h (jeudi jusqu’à 21h). Catalogue en anglais, coédition Musée des arts appliqués/Palais des beaux-arts/Hatje Cantz, ISBN 3-77571-778-1, 39 euros.
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Art total
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaires : Peter Noever, directeur du Musée des arts appliqués (MAK) de Vienne (Autriche), Heimo Zobernig, artiste - Nombre de pièces : plus de 1 000
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°234 du 31 mars 2006, avec le titre suivant : Art total