La première Biennale de l’art brut, sur le thème du véhicule, en appelle à l’évasion sous toutes ses formes.
LAUSANNE - Les conditionnements sociaux ont la vie dure. C’est bien connu, les petites filles ne s’intéressent qu’aux Barbie et aux trousses de maquillage, les garçons qu’aux voitures et trains électriques. Pas étonnant avec de tels stéréotypes véhiculés par la publicité et les conventions que l’on ne retrouve que deux artistes femmes sur les 42 au total qui figurent dans cette exposition consacrée aux véhicules. Les femmes auraient-elles moins besoin de s’évader, de se dépayser – terme cher à Jean Dubuffet – que les hommes ?
Baptisée « Véhicules », cette première Biennale organisée par Sarah Lombardi rassemble plus de 200 œuvres appartenant toutes à la Collection de l’Art brut à Lausanne. Réparties en trois sections, la terre, l’air et l’eau, elles sont comme magnétisées par l’éclairage tamisé des lampes à LED du musée. « Nous voulons faire découvrir la richesse de nos collections, qui regroupent aujourd’hui plus de 60 000 œuvres, souligne la directrice des lieux. Des créateurs historiques comme Benjamin Arneval, Auguste Forestier ou Sylvain Lecocq, dont les travaux ont été acquis par Jean Dubuffet, mais aussi des auteurs plus récents comme Fausto Badari, qui a rejoint le musée en 2013. »
Cabossés par la vie, confinés dans des oubliettes qui ont pour nom asiles ou hôpitaux psychiatriques, ceux-ci tentent de s’en échapper par la création. À l’aide de bateaux bricolés avec des boîtes de conserve (François Burland), de bus multicolores fabriqués avec des paquets de cigarettes ou de médicaments (Willem Van Genk), de ballons dirigeables (Helmut) et autres vaisseaux spatiaux futuristes (Erich Zablatnik).
Un « Titanic » en bois brûlé
Interné en 1914 à l’hôpital de Saint-Alban (en Lozère) après avoir provoqué le déraillement d’un convoi ferroviaire, Auguste Forestier y séjourne jusqu’à sa mort en 1958. Il s’en évade à cinq reprises, avant de transmuter son tropisme pour le voyage en passion pour la création sédentaire. À Saint-Alban où il croise Paul Éluard, qui s’y réfugie en 1943-1944 et y écrit Souvenirs de la maison des fous, il fabrique de drôles de bateaux à l’aide de rebuts de bois, de tissus, de cuir et de bouts de ficelle. Hidenori Motooka s’échappe, lui, de son labeur de plongeur dans un restaurant de Kôbe (Japon) en dessinant des trains. Il a reproduit plus de 100 locomotives de la ligne locale de Hankyu, représentées de face, alignées et serrées les unes contre les autres sur des feuilles de papier, de manière obsessionnelle. Le résultat est saisissant. Une véritable œuvre abstraite.
Souvent synonymes d’évasion, les véhicules sont pour d’autres auteurs d’art brut associés au danger. Georges Widener sculpte un Titanic fait de bois brûlé. Lorna Hylton met en scène un maelström de voitures embouties, Shi Yi Feng des embouteillages chaotiques et oppressants. Ces « attardés » auraient-ils perçu avec un temps d’avance les symptômes avant-coureurs des dérèglements de nos sociétés qui ont fait, selon les mots du sociologue Alain Gras, « le choix du feu », c’est-à-dire des énergies fossiles et des moteurs thermiques ?
C’est une autre forme de mobilité, douce et intérieure, le transport amoureux, que célèbre l’une des deux seules artistes femmes de l’exposition, Aloïse Corbaz, en plaçant ses amants imaginaires dans des véhicules de fortune : gondoles, fiacres et autres trains fantômes.
Jusqu’au 27 avril, Collection de l’Art brut, avenue des Bergières 11, Lausanne, Suisse
tél. 41 21 315 25 70, tlj sauf lundi 11h-18h
www.artbrut.ch
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Art brut, en voiture !
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Abonnez-vous dès 1 €Willem Van Genk, Sans titre, sans date, matériaux divers, 28,5 x 89 x 17,5 cm, Collection de l’Art Brut, Lausanne. © Photo : Olivier Laffely
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°409 du 14 mars 2014, avec le titre suivant : Art brut, en voiture !