L’époque Edo est une ère de paix au Japon. Les armures des daimyo, grands seigneurs provinciaux issus de la classe militaire, faisaient donc avant tout l’objet d’un usage ritualisé.
Trônant dans l’alcôve de la salle de réception du château, disposée assise sur un coffre, l’armure doit incarner la présence du maître en son absence. Souplesse du fer, somptuosité des textiles, richesse des ornements, beauté des couleurs : la grande sophistication technique de ces équipements est au service d’une démonstration de pouvoir. L’armure commandée en 1741 par le clan Maeda, la famille la plus riche de toute l’histoire du Japon, a été réalisée par Myôchin Shikibu Ki No Muneakira, le plus grand maître de l’ère Edo. Au centre de la cuirasse, travaillée selon la technique du fer repoussé, apparaît en relief, finement ciselée, la figure du lion bouddhique. Le nez de rapace du masque évoque Karura, puissante créature japonaise inspirée d’une divinité hindoue. La magnificence de ces armures donne à voir un spectacle d’autorité et de force aux invités des jo, les châteaux des daimyo. L’équipement guerrier doit aussi évoquer le statut du seigneur. Les kawarikabuto, des casques spectaculaires au caractère totémique, sont les signes emblématiques de leur porteur. Encore aujourd’hui, ces somptueuses armures se passent d’un contexte belliqueux. Dans la rotonde du quatrième étage du Musée Guimet, onze pièces trônent comme des sculptures. Elles imposent, par leur présence, un silence solennel, une spiritualité hors du temps. Certains masques portent une moustache, d’autres froncent les sourcils ou montrent leurs dents. Un sentiment de vie émane de ces silhouettes pourtant hiératiques, vides et immobiles. Leur incroyable état de conservation semble avoir permis à leur autorité de résister aux siècles écoulés. L’historien de l’art allemand Aby Warburg (1866-1929) évoquerait ici la « survivance » du passé, une notion reprise par Georges Didi-Huberman. Ce dernier nous invite à être attentifs à la force active du passé de certaines œuvres d’art qui contiennent en elles plusieurs strates mémorielles. Le choix d’un prolongement contemporain de l’exposition au Palais de Tokyo avec l’installation de George Henry Longly semble alors tout à fait cohérent. Sans ébranler leur majesté, l’artiste britannique propose de porter un regard nouveau sur huit de ces chefs-d’œuvre que Sophie Makariou, présidente du Musée Guimet, nomme justement « emblèmes intemporels ».
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°711 du 1 avril 2018, avec le titre suivant : Armures de daimyo