À l’occasion de son exposition personnelle à la galerie Almine Rech, à Paris, Ange Leccia répond à nos questions.
De quoi est-il question dans votre exposition chez Almine Rech ?
Ces dernières années, j’ai beaucoup séjourné au Moyen-Orient (en Égypte, en Syrie...) et à des moments assez chauds politiquement. Mais, entre ce que je vivais sur place et ce que l’on pouvait en voir à la télévision, il y avait un décalage hallucinant. Pendant cette montée de peur par rapport à tout ce qui vient du Moyen-Orient, et de l’islam en général, je vivais sur place des situations où tous les gens que je croisais se mettaient en quatre pour moi. Par ailleurs, j’ai réalisé cette exposition avec l’idée du mur – c’est-à-dire de la difficulté, de l’impasse, de l’infranchissable. C’est un mur un peu géopolitique. C’est très présent là-bas. Tout est cloisonné, délimité.
J’ai donc construit au fond de la galerie un mur de parpaings, brut, au format 16/9e. Des images réalisées là-bas y sont projetées. Il ne s’agit pas d’un bel écran blanc : l’image s’incruste, se mélange au béton... Avant d’accéder au film, une série de photographies fonctionnent comme son synopsis. Est aussi présentée une grande peinture sur émail. La calligraphie, très présente au Moyen-Orient, était pour moi une écriture abstraite, des ornements. Cela m’a permis de revoir des travaux très anciens. En même temps que mes installations filmées, je faisais à l’époque un travail sur la dissolution de l’image. J’étais parti du grain de la télévision. C’est comme le sable dans ce parpaing de béton... c’est l’idée de pulvérisation, de granulation et, en même temps, c’est une chose qui contient toutes les images. J’ai replongé dans mes archives. J’ai numérisé et recomposé d’anciens dessins, puis je les ai fait cuire sur plaque émaillée. Cela donne des mondes aux allures végétales, des écritures abstraites en noir et blanc, avec un côté métallique.
Elles rappellent un peu les faïences de l’art oriental... sauf que j’y amène ma propre écriture, mentale, abstraite.
Le lien entre votre travail actuel et celui des années 1980, c’est l’introspection. Comment se fait-il que n’aient été exclusivement retenu de cette époque que vos installations d’objets ?
Parce qu’elles ont été hypermédiatisées. J’ai réalisé une série de films dans ces années-là, mais, quand je les montrais, on ne les regardait même pas. Maintenant, on me les demande dans les cinémathèques... Il y avait une focalisation de la critique sur le ready-made et Marcel Duchamp. On avait trouvé un filon qui rassurait tout le monde. Je me suis enfui deux ans au Japon parce que je n’étais plus invité que dans des expositions autour de ces thèmes. C’est dans ce pays que je me suis remis à faire des images. Ensuite, à partir de 1994-1995, j’ai commencé à travailler avec Dominique Gonzalez-Foerster, rencontrée à l’école des beaux-arts de Grenoble en 1985. Dernièrement, nous sommes partis à Los Alamos (Nouveau-Mexique), aux États-Unis, là où la bombe atomique a été mise au point. Nous nous sommes rendus sur les territoires d’où les Américains ont expulsé des Indiens pour faire leurs essais.
Pourquoi choisir des lieux politiquement troublés comme sujets de films ? Quel est l’impact de l’actualité sur votre travail ?
L’actualité n’a aucun impact sur mon travail. Je pense que l’artiste la devance. Dans les années 1980, je suis allé aux États-Unis, en Allemagne, en Angleterre, au Japon... J’avais l’impression que je ne pouvais plus rien tirer de la culture occidentale, de la société capitaliste. Cette année, je suis allé au Vietnam, dans le désert au Maroc, en Syrie. C’étaient les seuls endroits qui pouvaient me régénérer. Mais cela n’a rien à voir avec l’actualité ou l’envie de vivre tout d’un coup des sensations fortes. Ce sont des pays qui ont un modèle un peu différent du nôtre. Être dans un endroit où l’on ne te vend pas du Coca-Cola, cela fait du bien.
En quoi vos vidéos se différencient-elles des documentaires ?
Elles peuvent être prises pour des documentaires. Pour moi, ce sont des sortes de voyages impressionnistes... À un moment donné, elles peuvent avoir un sens “hyper politisé”, trois minutes après, un sens esthético-amoureux-romantique... puis redevenir grave. C’est un peu ce que nous vivons, ce que je ressens. En fait, toutes ces choses cohabitent en même temps : elles sont dans le même espace-temps.
Galerie Almine Rech, 127 rue du Chevaleret, 75013 Paris, tél. 01 45 83 71 90, jusqu’au 7 novembre.
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Ange Leccia
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°177 du 26 septembre 2003, avec le titre suivant : Ange Leccia