Art contemporain

Rétrospective

Amadeo de Souza-Cardoso, un peintre très discret

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 24 mai 2016 - 767 mots

L’œuvre de l’artiste portugais, mort à 31 ans, sort de l’ombre au Grand Palais. Si elle ne déclenche pas une révolution esthétique, c’est une belle découverte.

PARIS - On aimerait pouvoir dire que l’œuvre d’Amadeo de Souza-Cardoso (1887-1918) a du charme. Malheureusement, ce mot est devenu galvaudé et l’employer, surtout à propos d’art moderne, n’est pas vraiment un compliment. Pourtant, ce terme convient parfaitement à une partie de la production picturale de l’artiste portugais qui, en dehors de son pays, reste méconnu. Certes, son nom n’est pas lié à une mise en question radicale de l’ordre plastique ou à une contribution à un fait artistique sans précédent, glorifié par la modernité. Il est également « désavantagé » par son pays d’origine ; le Portugal au XXe siècle n’étant pas considéré comme un lieu de passage obligatoire de l’avant-garde, son art est resté pratiquement ignoré. Il suffit de comparer l’œuvre de Souza-Cardoso à celle du peintre français, Raoul Duffy pour constater que, malgré leurs qualités proches, elles n’ont pas la même place dans l’histoire de l’art.

Un artiste inclassable
Ainsi, l’opération menée de concert par la Fondation Calouste Gulbenkian et la Réunion des musées nationaux, qui permet de découvrir Amadeo de Souza-Cardoso, est totalement justifiée. Pour autant, ce n’est pas vraiment un service rendu au peintre de le présenter pompeusement comme « un des artistes qui ont fait l’avant-garde » et d’ajouter qu’« il n’y a aucun exemple aussi étonnant d’un artiste majeur tombé dans l’oubli ».
En revanche, c’est avec justesse que les commissaires ont choisi d’ouvrir l’exposition par quelques toiles qui représentent ce qu’on peut nommer des animaux de fantaisie, datant essentiellement de 1911. Lévriers, Paysage avec oiseaux, Titre inconnu (Clown, cheval, salamandre), Le Saut du lapin – son tableau le plus connu – sont des œuvres splendides, dont l’imagination n’a rien à envier au Douanier Rousseau. Tous ces animaux, reconnaissables mais fortement stylisés, naissent de courbes déployées en douceur et de couleurs vives. Leur originalité tient justement au fait que l’artiste semble être à l’écart des différentes pratiques en vogue à cette époque à Paris – cubisme, futurisme –, à la fois par leur style et leur thématique. Pourtant Souza Cardoso n’est pas indifférent à ces nouveautés esthétiques. Dans la section nommée « D’après nature », sous l’influence de Robert Delaunay, avec son orphisme et ses « Cercles chromatiques », le peintre portugais expérimente une peinture de plus en plus épurée. Ces travaux, trop nombreux et de qualité inégale, auraient gagné à être plus sévèrement sélectionnés.

Modigliani et Flaubert
Amadeo de Souza-Cardoso a séjourné à Paris à partir de 1906, plus précisément à Montparnasse, où il fréquentait tout un aréopage d’artistes et est devenu un ami proche de Modigliani. Une des salles de l’exposition présente côte à côte les travaux de deux Amadeo ; ils ont comme sujet principal le nu féminin. Si le dessin de Souza-Cardoso est moins suave que celui de Modigliani, il trouve toute sa puissance avec une série extraordinaire : XX dessins (1911-1912). L’ensemble, présenté ici, n’a pas de thématique commune. On se trouve face à une iconographie foisonnante qui puise tantôt dans des motifs exotiques, tantôt dans des mythes réels ou inventés ou encore dans le domaine religieux.
Sa fascination pour l’art médiéval donne naissance à une création étonnante, un manuscrit intégralement calligraphié au pinceau de La Légende de saint Julien L’Hospitalier, l’œuvre de Gustave Flaubert. Le parcours suit les années de l’artiste à Paris, puis au Portugal où il rentre en 1914. On est impressionné par l’importante production de celui qui meurt en 1918, peu avant de fêter ses 31 ans. Actif et entreprenant, Souza-Cardoso expose aux Salons des indépendants depuis 1911, participe avec succès au fameux Armory Show aux États-Unis ou encore au premier Salon d’Automne Allemand à Berlin. Cette mobilité a toutefois un prix, celui d’un éclectisme où les différentes influences s’accumulent. Ainsi, les têtes ou les figures qui oscillent entre l’expressionnisme et le cubisme (1914-1915) sont parfois trop chargées et le passage entre le sujet et l’arrière-plan reste laborieux.

De retour au Portugal, Souza-Cardoso continue à pratiquer un style proche du cubisme ayant comme thème principal des instruments de musique et réalise même quelques collages. Mais, c’est avec les « maisons de poupée », des maisonnettes dont la façade est réduite à des rectangles couleur rouge, jaune ou verte que le peintre retrouve toute son originalité. Avec Fenêtres et vasistas, 1915-1916, l’architecture d’une exceptionnelle légèreté est à peine suggérée et les couleurs qui flottent lui donnent des accents poétiques. Bref, le charme opère encore.

AMADEO DE SOUZA-CARDOSO

Commissaire : Helena de Freitas

Œuvres : 230 œuvres

AMADEO DE SOUZA-CARDOSO

Jusqu’au 18 juillet 2016, Grand Palais, 3, avenue du Général Eisenhower, 75008 Paris, tél 01 44 13 17 17

www.grandpalais.fr

Lundi, jeudi et dimanche 10h-20h, mercredi, vendredi et samedi 10h-22h, entrée 13 €

Catalogue éditions RMN-Grand Palais, 288 p., 40 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°458 du 27 mai 2016, avec le titre suivant : Amadeo de Souza-Cardoso, un peintre très discret

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