L’exposition à Orsay est l’occasion de découvrir ce Danois, ami de Gauguin et admirateur du Greco, qui traversa le symbolisme et l’expressionnisme sans se départir d’un style inclassable.
En rupture avec le naturalisme danois
Si Jens Ferdinand Willumsen (1863-1958) flirta à ses débuts avec le naturalisme, il s’en démarqua très vite au gré de nombreux voyages en Europe.
À ses débuts, après s’être formé à l’académie de Copenhague, le peintre se plia brièvement aux conventions picturales locales. Mais les traditions nationalistes pesaient trop fortement sur les épaules de ce jeune peintre guidé par l’émancipation stylistique.
Une exposition d’art français à Copenhague en 1888 réunissant des toiles de Puvis de Chavannes, Manet, Monet et Gauguin, déclencha son anticonformisme précipitant la rupture avec l’école danoise, au fil de plusieurs voyages initiatiques effectués dans les mois qui suivirent en Espagne et en France.
S’il fonde en 1891 une association de peintres avec Vilhelm Hammershøi, Harald Slott-Møller, Johan Rohde et F.G. Clement, il ne se départira jamais de sa singularité et ne fera pas école. Les paysages de bord de mer et les baignades nudistes qu’il peint dans la première décennie du xxe siècle revêtent d’ailleurs une qualité danoise plutôt allusive.
Deux amours, son pays et… Paris !
Willumsen a connu sa plus grande histoire d’amour avec la France qu’il visita pour la première fois à 27 ans, en 1890. Il n’aura de cesse d’y revenir, attiré par ses artistes et la liberté de création alors inconnue au Danemark. Il s’installe quatre années à Paris, jusqu’en 1894, et fréquente les nabis Paul Sérusier et Félix Vallotton avant de revenir en 1903 et 1904. À Paris, Willumsen reconnaît l’influence sur sa peinture des compositions de Degas, Toulouse-Lautrec, Pissarro, Gauguin et Redon.
Peu connu et exposé dans l’Hexagone, l’artiste mène donc comme une double vie, montrant et vendant ses créations au Danemark, mais s’installant définitivement en France en 1916. La Côte d’Azur est sa terre d’élection, de Nice au Cannet, où il termine ses jours en 1958. Mais c’est bien au Danemark qu’il est inhumé, auprès de ses œuvres, sur le domaine où fut inauguré, en 1957, un musée entièrement dédié à son œuvre. Une reconnaissance tardive pour cet infidèle.
Jotunheim, la montagne Nabi
Ce paysage montagneux peint en 1892-1893 au retour d’un voyage en Norvège affiche clairement l’influence de Vallotton et du groupe des Nabis sur la peinture de Willumsen. Le traitement décoratif, l’organisation même des touches rappellent le style de ce groupe de peintres créé par Maurice Denis en 1888.
D’abord exposé à Paris, le tableau enrichi d’un cadre en cuivre et en zinc découpé et peint à l’émail représente le Danemark à l’Exposition universelle de Paris en 1900. Stylisé, le massif montagneux se reflète par diffraction dans la représentation du lac Tyin, jouant de motifs purement abstraits. Du symbolisme, Willumsen adopte surtout l’esthétique et les compositions inspirées du Japon bien plus que le contenu mystique littéraire.
L’ajout du cadre ajouré et truffé de personnages allégoriques inquiétants est un des rares témoignages d’un goût symboliste assumé. Il lui vaudra bien des railleries de la part de la critique danoise.
Photographier pour témoigner
« La photographie ne peut révéler que ce qui se présente objectivement à elle. L’homme possède la capacité de savoir, de rassembler des connaissances, sur la façon dont la nature apparaît vue d’autres côtés et dans d’autres circonstances, et peut l’exprimer. Accumuler ces connaissances dans un tableau et lui donner ainsi une richesse que la machine est incapable de produire. »
La photographie comme acte documentaire, voilà comment il faut comprendre les quelque mille clichés que Willumsen avait réalisés tout au long de sa vie. Depuis 1893, il n’avait cessé de capter son existence, de conserver son environnement affectif et physique, de faire poser sa famille devant ses toiles, de faire son propre portrait, de préparer des toiles en photographiant des scènes.
Les photographies de Jens Ferdinand Willumsen n’étaient pas destinées à être exposées, mais quarante d’entre elles sont révélées à Orsay comme autant de témoignages précieux de la vie du peintre danois.
Gauguin ou Willumsen ?
On les croirait tout droit sorties du pinceau de Paul Gauguin, le maître de Pont-Aven. C’est bien dans ce village breton qu’elles ont été peintes, mais par ce Danois intrépide et curieux, Willumsen, parti à l’été 1890 rencontrer Gauguin sur ses terres.
Les deux hommes sympathisent malgré la barrière linguistique, se parlent en dessinant. Le Danois s’imprègne sans imiter : moins porté sur le spirituel que le Français, il aime surtout peindre le mouvement qui l’avait fasciné dans les rues de Paris, par aplats de couleurs démunis de détails.
Ce tableau, devenu une icône de l’école de Pont-Aven sans que le grand public sache trop qui l’a peint, avait à l’époque été échangé contre un bois sculpté de Gauguin, La Luxure. Il atteste le respect du peintre pour celui qui était bien plus qu’un élève danois, un copiste. Toute sa vie, Willumsen aura souffert de cette période bretonne, un comble pour une amitié artistique partagée et fructueuse.
Un touche-à-tout antimilitariste
À sa formation de peintre et d’architecte, Jens Ferdinand Willumsen a ajouté la céramique, la sculpture mais aussi la photographie et la gravure.
La série qu’il entreprit durant la Première Guerre mondiale est d’une grande importance. Largement inspirées des gravures de Goya réalisées au début du XIXe siècle comme Les Malheurs de la guerre (1810-1814) et Les Proverbes, les œuvres de Willumsen représentent la mort avec violence. Dans le Martyre de Mme Édith Cavell, on voit un soldat allemand pointer son arme sur une infirmière anglaise dans une atmosphère sombre et théâtrale.
Réalisées en France, les gravures dénonçant explicitement l’absurdité de la guerre tout en étant émaillées de personnages monstrueux furent envoyées en 1918 à Copenhague pour être exposées. La réception critique de ces cauchemars visuels se révéla négative ; on reprocha à Willumsen le caractère trop « goyesque » de ses scènes, mais l’exposition attira les foules.
Le Greco : principe d’identification
Tout au long de sa vie, Jens Ferdinand Willumsen n’eut de cesse de nourrir son art d’influences, changeant presque tous les dix ans de style au gré des rencontres. Celle avec le Greco date de son tout premier séjour en Espagne, en 1889. Dès lors, le peintre se passionne. En 1911, il achète L’Adoration des bergers, toile peinte à Venise entre 1567 et 1569.
Willumsen part sur les traces du Greco en Crète, en Italie et en Espagne, traduisant sa passion par des toiles aux coloris puissants. Le Souper du soir de 1918 est à ses yeux son chef-d’œuvre, une toile saturée de jaune, aux silhouettes étirées et cernées d’ombres noires dévorantes représentant sa femme Édith et leurs deux filles. On pense aux couleurs quasi phosphorescentes du paysage de Tolède peint par le peintre espagnol, à ce drame tenu par la tension des corps et des motifs.
Le Danois devient même historien de l’art et publie en 1927 deux tomes sur la jeunesse du Greco, celui qu’il surnomme son « confrère ».
Informations pratiques L’exposition « Du symbolisme à l’expressionnisme, Willumsen (1863-1958), un artiste danois » se tient du 27 juin au 17 septembre 2006, du mardi au dimanche de 9 h 30 à 18 heures et le jeudi jusqu’à 21 h 45. Tarifs : 9 € et 7 € (tarif réduit pour tous le dimanche à partir de 16 h 15 et le jeudi à partir de 20 heures). Musée d’Orsay, accès par la rue de la Légion d’Honneur, Paris VIIe, tél. 01 40 49 48 14, www.musee-orsay.fr
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7 clefs pour comprendre Willumsen
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°582 du 1 juillet 2006, avec le titre suivant : 7 clefs pour comprendre Willumsen