Peu de personnages de fiction ont suscité une aussi grande fascination que Tarzan, le héros créé en 1912 par Edgar Rice Burroughs. Après le cinéma et la bande dessinée, c’est au tour d’un musée de lui rendre hommage, avec érudition et humour.
La fortune littéraire du mythe de l’enfant sauvage
Fils d’aristocrates anglais débarqués au large des côtes africaines suite à une mutinerie, le jeune Tarzan est recueilli par une tribu de grands singes, les Mangani. Spécimens inconnus de la science, ces derniers possèdent des traits communs avec les gorilles, mais aussi avec les humains, en particulier une forme primitive de langage.
Élevé avec tendresse par une guenon baptisée « Kala », l’enfant ignore tout de son ascendance prestigieuse : son véritable nom est John Clayton III, lord Greystoke… Surmontant les dangers de la jungle grâce à son intelligence et ses qualités athlétiques hors du commun, le héros franchira la frontière entre le primitif et le civilisé grâce à l’apprentissage de la lecture et à sa rencontre, à l’âge adulte, avec l’homme. Mais après avoir découvert l’amour (Jane) et les bienfaits de la civilisation (le monde moderne), il finira par retourner dans sa jungle…
S’il est né, en 1912, sous la plume de l’écrivain américain Edgar Rice Burroughs (1875-1950), le personnage de Tarzan s’inscrit, en fait, dans une tradition littéraire qui a exploité avec verve la figure de l’enfant élevé en milieu sauvage par des bêtes. Ainsi, Burroughs se plaisait à dire que le mythe romain de Romulus et Remus, secourus et nourris par une louve, constituait sa principale référence. On ne peut s’empêcher de penser aussi au petit Mowgli du Livre de la jungle de Rudyard Kipling, paru en 1894.
Infiniment moins célèbre, le dessinateur français Albert Robida avait signé, en 1879, un roman de huit cents pages intitulé Voyages très extraordinaires de Saturnin Farandoul : on y croise, trente-trois ans avant Tarzan, un bébé échoué sur une île déserte au milieu d’une tribu de singes. Resté confidentiel, le roman n’atteindra jamais la renommée de celui de Burroughs !
E. R. Burroughs lecteur de Charles Darwin
En homme éclairé de son époque, Edgar Rice Burroughs s’est plongé avec ferveur dans De l’origine des espèces, le célèbre traité de Charles Darwin, qu’il découvrit à la Chicago Public Library. Bien des réflexions émaillant ses romans se font ainsi l’écho des thèses darwiniennes sur l’évolution, et engendrent – bien malgré Darwin ! – une morale « naturelle » de l’adaptation de l’homme à son milieu, de l’éloge de la force et du chef, de la création de la raciologie et des échelles raciales. Même lorsqu’elles furent réfutées vigoureusement par la communauté scientifique, les théories de Darwin et les malencontreuses dérives eugénistes qu’elles ont engendrées eurent toujours les faveurs de Burroughs. Force est de constater que les aventures de Tarzan trahissent une hiérarchie entre les peuples, qu’ils soient noirs ou blancs. On reprocha en outre à leur auteur un certain sexisme et un ultra-individualisme…
L’homme-singe, l’anti-King Kong
À bien des égards, Tarzan se présente comme l’anti-King Kong. À la force brutale et dénuée d’intelligence du primate qui ravit la femme blanche, il oppose la figure du protecteur qui découvre l’amour et s’initie à ses subtilités. Si le premier apparaît comme un monstre qui terrorise la population indigène comme la gent animale, le second est respectueux du monde qui l’entoure et vit en harmonie au sein de sa tribu.
Les films de King Kong trahissent ainsi une phobie du mariage mixte, du métissage : les amours entre le singe géant et l’actrice américaine sont évidemment contre nature et promises à l’échec, à la tragédie. Tarzan et Jane prônent au contraire un amour « idéal », loin du carcan des conventions sociales et des méfaits de la civilisation. Ils ne s’en comportent pas moins comme des parents respectables et des amants fidèles et chastes !
La jungle de Tarzan : une Afrique fantasmée
On sait qu’Edgar Rice Burroughs ne mit jamais les pieds en Afrique, aussi sa vision du continent noir est-elle totalement fantasmée, pour ne pas dire idyllique. Lors de ses fréquentes visites à la Chicago Public Library, il se plongea vraisemblablement dans les récits de voyage de David Livingstone et de Henry Morton Stanley. Le muséum de sa ville natale devait nourrir aussi ses rêveries et son inspiration.
Malgré ses colorations exotiques (noms imaginaires de tribus, espèces animales qui se télescopent et se croisent…), la jungle de Burroughs est une contrée imaginaire qui transcende et méprise les frontières géographiques et temporelles. « Héraclès des tropiques », Tarzan y affronte, comme autant d’épreuves initiatiques, des monstres et des démons. Dans cette jungle capiteuse, les lianes sont
des pièges autant que des passerelles qui le mènent peu à peu vers la Civilisation…
Jane, ménagère en tenue légère pour héros chaste
Immortalisé au cinéma sous les traits de la ravissante Maureen O’Sullivan (à droite sur la photo), le personnage de Jane Porter, la jeune Américaine dont tombe éperdument amoureux Tarzan dès le premier regard, n’occupe somme toute qu’une place assez modeste dans l’ensemble des romans. Si elle incarne la Civilisation (elle débarque dans la jungle en jupe longue, corsage à taffetas et casque colonial !), elle se cantonne bien souvent au rôle d’épouse-Pénélope attendant sagement son Ulysse-Tarzan à la maison ! Tout au plus est-elle régulièrement la proie de ravisseurs, ce qui plonge son courageux époux dans de folles poursuites aux quatre coins du monde.
Plus vénéneuses apparaissent, en revanche, les femmes fatales qui croisent la route de Tarzan : amazones, prêtresses, reines d’empires déchus, sirènes… Mais notre héros demeure étonnamment chaste, insensible à leurs séductions.
Le « mythe Tarzan » à travers la B.D. et le cinéma
Très vite, le personnage de Tarzan connut les honneurs de la bande dessinée, touchant un public encore plus large que les lecteurs des romans de Burroughs. L’adaptation « en planches » débute précisément le 7 janvier 1929 sous le pinceau talentueux de Hal Foster, le futur créateur de Prince Vaillant.
Mais c’est avec Burne Hogarth (1911-1996) que l’exercice touchera au génie. Pendant près de quinze ans, le dessinateur s’emparera du héros pour en faire sa « créature » : une créature cernée de toutes parts par des forêts menaçantes de lianes et de plantes tropicales, guettée par des fauves rugissants ou des cannibales prêts à la dévorer. À ce jour, les planches de Hogarth demeurent inégalables par leur puissance dramatique et leur invention formelle.
Le cinéma, quant à lui, trouva en la personne de Johnny Weissmuller, ancien champion olympique de natation d’origine autrichienne, son serviteur le plus fervent. On peut lui préférer, néanmoins, Christophe Lambert, qui interpréta de façon magistrale le seigneur de la jungle en 1983 dans Greystoke, la légende de Tarzan, sans doute l’adaptation à ce jour la plus profonde et la plus fidèle de l’histoire de Burroughs.
Avatars et produits dérivés, la fortune de Tarzan
Tout succès a son revers… On ne compte plus les ersatz qu’a engendrés le mythe de l’homme-singe ! Les Akim, Zembla, etc. Dans toutes les cultures et dans toutes les langues. Parfois un simple pagne en peau de léopard signale la filiation. Ailleurs, c’est un coutelas, ou une chevelure flottant au grand vent… Dans un monde gagné par la modernité et son armée de robots, Tarzan incarne encore la liberté primitive, celle d’un monde vierge et « écolo ». S’il combat occasionnellement auprès de Batman et Superman, il est plus proche d’un Rahan sorti de la préhistoire.
Affiches de cinéma, posters, figurines en plastique, spots publicitaires, accessoires de mode pérennisent encore sa mémoire, et son cri inimitable résonne dans les salles obscures comme sur les écrans de télévision. Tarzan est bel et bien un héros populaire, le fils de mère Nature, primitif et civilisé tout à la fois…
Infos pratiques. « Tarzan ! ou Rousseau chez les Waziri » jusqu’au 27 septembre. Musée du Quai Branly, Paris. Mardi, mercredi et dimanche de 11 h à 19 h. Jeudi, vendredi, samedi de 11 h à 21 h. Tarif : 8,50 e avec les collections. quaibranly.fr
L’œil de Tarzan. En parallèle de l’exposition du Quai Branly, L’œil édite un hors-série consacré au héros de la jungle. Richement illustré, ce numéro exceptionnel revient sur l’histoire de Tarzan, de son histoire à la construction du mythe, dans le roman, la B.D., le cinéma, la photo, l’art contemporain et les « Tarzanides ». Tarzan, les aventures du seigneur de la jungle au XXe et XXIe siècles en vente à la boutique du musée (60 p., 8,50 euros).
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7 clefs pour comprendre Tarzan !
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°615 du 1 juillet 2009, avec le titre suivant : 7 clefs pour comprendre Tarzan !