Neuf rouleaux, soit cent trente mètres de peinture, jamais présentés en totalité s’étalent sous nos yeux au musée Guimet. Un véritable film racontant la vie fastueuse de la cour impériale.
Des conquérants surgissent au nord
En 1616 dans une tribu du nord-est de l’Asie, un prince mandchou s’affranchit de la suzeraineté chinoise et se proclame empereur. Il profitait de la corruption générale de l’empire des Ming, qui régnaient depuis 1366 et de la crise grave de l’agriculture.
Le fils de ce rebelle choisit ensuite le titre dynastique de Qing – prononcez « Tsing » – et, progressant régulièrement, se trouve en 1644 maître de l’empire.
Ces Mandchous, loin d’être des barbares, étaient pleins d’admiration pour la vieille culture chinoise. S’appuyant sur les administrateurs civils chinois, ils ne s’attribuèrent que les postes militaires majeurs.
Pourtant les Chinois, les « fils de Han », toléraient avec peine cette domination. Ecartés des postes importants, ils étaient contraints de porter la natte, terrible humiliation.
Sous les Mandchous cependant, durant un siècle et demi, la Chine retrouvait sa puissance et sa prospérité. Les campagnes étaient riches et l’artisanat en plein développement.
Deux empereurs remarquables
Grâce à la bonne entente progressivement rétablie entre Mandchous et Chinois, au XVIIIe siècle, l’empire est unifié. Kangxi, deuxième empereur, appelé très jeune à régner, est d’abord flanqué d’une régence, puis prend le pouvoir pour lui seul en 1669 et se comporte en despote éclairé.
Doté d’une intelligence brillante, Kangxi devient, malgré son origine étrangère, un authentique lettré chinois, vrai patron des lettres et des arts et adepte de Confucius, en renouant avec les rites chinois. Il garde toujours des contacts avec ses précepteurs jésuites en particulier avec le père Castiglione. Passionné par les sciences, curieux de l’Europe, il établit un dialogue entre les deux civilisations. Entre 1684 et 1707, il effectue dans le sud de l’empire pas moins de six voyages d’inspection destinés à asseoir son pouvoir dans cette région éloignée, la dernière conquise.
Son fils Yongzheng ne régna que douze ans. Dénué de dons artistiques, il se montra toutefois compétent et contribua à stabiliser la dynastie.
Sous Qianlong, une Chine à son apogée
Le troisième empereur, Qianlong, qui régna soixante ans à partir de 1736, recueillit les fruits de ses prédécesseurs. Tout semblait lui réussir et il reste l’une des figures majeures de l’histoire chinoise. Doué pour la poésie, auteur de 34 000 poèmes, il s’adonnait à la peinture et à la calligraphie tout en collectionnant les œuvres d’art et les livres.
Pourtant, il ordonna de censurer la bibliothèque impériale causant de graves pertes. Comme Kangxi, à partir de 1751, il fit dans les provinces du sud de mémorables voyages. Passionné d’équitation et de chasse, il laissait à ses généraux le soin de combattre aux frontières.
Ses nombreuses guerres ruinèrent les finances de l’État et des famines provoquèrent des soulèvements de paysans. Cependant, à la fin de son règne en 1793, il apparut encore à lord Macartney, l’ambassadeur britannique, comme un souverain au faîte de sa puissance.
Les Qing devaient conserver le pouvoir jusqu’en 1911, mais le XIXe siècle fut pour eux un long déclin.
Les voyages de Kangxi et Qianlong dans le Sud
Les périples de Kangxi et Qianlong au sud du Yang-Tsé étaient des voyages d’inspection et de prestige.
Dans un cérémonial grandiose, l’empereur affirmait son autorité devant des habitants béats d’admiration. Retrouvant les racines lointaines de sa culture, le souverain renouait avec les traditions mandchoues, la chasse, les chevauchées effrénées dans des espaces immenses.
Les rouleaux des Chasses de Mulan retracent ces moments forts. Dans Le campement, l’empereur assiste à un spectacle de lutte mongole. Sur un autre rouleau, L’encerclement détaille les épisodes de la chasse au cerf, les chevaux lancés au galop contrastent avec l’immobilité des soldats. On voit ensuite L’empereur entrant dans une ville à cheval. Plus loin, dans L’empereur partant pour sa résidence d’été, l’attention est focalisée sur la suite du souverain et la succession des animaux chargés de multiples fardeaux.
Un nouveau souffle venu d’Europe
À l’arrivée des Mandchous, de nombreux peintres refusent de collaborer avec des occupants. Certains, des amateurs lettrés, se font moines afin de travailler en paix dans les couvents.
Mais les peintres professionnels se rallient aux nouveaux empereurs et, tels Wang Hui et Wang Yuanqi, perpétuent un art très traditionnel. Wang Yuanqi, très respectueux du passé, a peint sur un éventail un paysage dans le style de Li Tang, un artiste du xiie siècle ! Préoccupé surtout par la construction formelle de ses œuvres, favori de l’empereur Kangxi, il était souvent appelé à travailler en sa présence.
Pourtant ce n’est pas lui mais Wang Hui qui eut l’honneur, avec deux autres peintres, d’immortaliser pour la postérité le voyage de Kangxi dans le Sud (1691-1698). Le poids de la tradition est partout sensible.
Rien de tel pour les voyages de Qianlong. Un souffle nouveau anime l’ensemble, la couleur est partout, les paysages deviennent réalistes.
C’est que ce souffle nouveau provient d’Europe par l’intermédiaire des jésuites.
La perspective selon Castiglione
En 1715, le père jésuite Giuseppe Castiglione, fraîchement arrivé d’Europe, est admis à travailler à l’atelier impérial du palais à Pékin. À 27 ans, c’est déjà un peintre compétent. Sous le nom de Lang Shining, il servira les trois empereurs Qing, surtout Qianlong.
Pour les rouleaux des Voyages, il collabore avec des peintres chinois chargés des paysages, se réservant la figure de l’empereur et les personnages. Ces contacts entre traditions picturales chinoises et européennes produisent un art composite. Les paysages traditionnels ne contenaient jamais d’ombres, mais on en distingue dans Les chasses de Mulan. Les montagnes, cours d’eau et arbres étaient, selon la tradition, des « vues de l’esprit » chargés de signification et disposés selon une organisation mentale.
Castiglione vise au réalisme dans des scènes bâties autour d’un seul point de fuite. Dans le rouleau Qazak présentant des chevaux à l’empereur Qianlong, il place la scène dans un espace chinois, mais respecte les lois de la perspective.
Toute la Chine sur porcelaine
Voulant après les guerres stimuler l’économie de l’empire, Kangxi ordonna de reconstruire le grand centre de fabrication de porcelaine de Jingdezhen. Un siècle plus tard, on comptait 3 000 fours dans ce puissant complexe qui répondait à l’énorme demande du palais impérial tout en exportant vers l’Europe des quantités tout aussi imposantes.
Le style « bleu et blanc » est bientôt complété par une polychromie réalisée au moyen d’émaux produisant la « famille verte » et la « famille rose ». Les artisans décorant les pièces puisent leur inspiration dans la vie quotidienne, ce qui nous vaut de savoureux tableaux des mœurs de l’époque saisies sur le vif.
Après les Scènes de pêche ou d’Agriculture, voici un Guerrier accroupi, une Perspective sur une ruelle, des Femmes contemplant une peinture ou découpant des soieries. Le réalisme se teinte souvent d’humour, mais ce sont des souhaits de longévité sur un plat exécuté pour le 60e anniversaire de l’empereur Kangxi. Toute la Chine est là.
Informations pratiques « Les Très Riches Heures de la cour de Chine (1662–1796) » se tient jusqu’au 24 juillet 2006 au musée des Arts asiatiques-Guimet tous les jours, sauf le mardi, de 10 h à 18 h. Tarifs 6,5 €/4,5 €. Billet exposition musée : 8 €/5,5 €. 6, place d’Iéna, Paris Vie, www.museeguimet.fr Le musée Guimet fait la part belle aux œuvres sur papier et présente de somptueux rouleaux peints, estampes, feuilles d’albums issus des collections de grands souverains Qing.
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7 clefs pour comprendre la cour de Chine
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°581 du 1 juin 2006, avec le titre suivant : 7 clefs pour comprendre la cour de Chine