Turquie - Histoire

7 clefs pour comprendre Istanbul

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · L'ŒIL

Le 28 octobre 2009 - 1311 mots

ISTANBUL / TURQUIE

Byzance, Constantinople, Istanbul : trois appellations qui en disent long sur les soubresauts politiques et culturels qui ont rythmé l’histoire de cette brillante cité, depuis sa fondation vers 660 avant notre ère jusqu’à la proclamation de la République turque en 1923, date à laquelle elle s’efface devant Ankara, la nouvelle capitale.

1. L’héritage laissé par l’Antiquité
Fondée en 660 av. J.-C. par un chef mégarien nommé Byzas, la ville de Byzance attisa aussitôt toutes les convoitises par sa position stratégique. Ne constituait-elle pas un port idéal pour contrôler tout à la fois le Bosphore et l’accès à la mer Noire ? Les Perses, les Athéniens, les Spartiates, les Macédoniens et les Galates fouleront tour à tour son sol, et la ville finira par se soumettre à Rome en 146 avant notre ère.
Les œuvres découvertes au gré des fouilles archéologiques reflètent brillamment cet héritage antique, telle cette délicate stèle funéraire exhumée dans le quartier moderne de Beyazit, où se trouvait la nécropole de Byzance aux époques hellénistique et romaine. Sous un fronton à acrotères, la jeune défunte se tient debout, drapée dans un chiton (tunique) et un himation (manteau) ramené en voile sur la tête. À sa droite, une femme plus grande – probablement son aînée – se tourne vers elle, esquissant un geste de tendresse et de compassion. D’une taille minuscule trahissant leur condition, deux servantes encadrent cette touchante scène funéraire. L’on devine même la silhouette d’une oie, probablement un animal de compagnie cher à la défunte, qui trahit un sens du pittoresque inhabituel sur les stèles grecques.

2. À Constantinople, la figure exaltée de l’empereur
Si elle n’a pas surgi du néant, la ville va atteindre une ampleur et un rayonnement inégalés sous le règne de l’empereur romain Constantin qui lui donnera son nom. Le 11 mai 330, la nouvelle capitale est inaugurée, marquant ainsi l’avènement d’une carrière impériale qui durera plus de douze siècles !
Non contente de se parer de somptueux monuments (forums, palais, églises, etc.), la « nouvelle Rome » s’affirme comme l’un des centres industriels les plus actifs du monde méditerranéen. Le travail de l’ivoire, matière aussi précieuse que l’or ou la soie, y tient une place de choix, comme en témoigne ce magnifique volet de diptyque figurant l’impératrice Ariane selon les canons officiels de l’art byzantin. Semblable à une apparition, coiffée d’une couronne et parée de bijoux, cette dernière brandit un sceptre et un globe surmonté d’une croix. Sur son manteau, le portrait de l’empereur indique que c’est de lui qu’elle tient son statut et son autorité, sous-entendu sa sacralité. À Constantinople, art et exaltation du pouvoir ne font qu’un…

3. Gemmes et camées : l’art de la récupération
Comme leurs prédécesseurs romains, les empereurs byzantins raffolaient des camées et des vases en pierres dures. Les artisans de Constantinople réemployèrent ainsi sans vergogne des pièces plus anciennes pour les transformer en calices et patènes destinés à un usage liturgique. Ils taillèrent aussi abondamment la sardoine, le jaspe, l’agate et, plus rarement, le lapis lazuli, l’albâtre ou la saphirine.
Mais c’est dans l’exécution des montures que les ouvriers rivalisaient d’imagination. Ornées de cabochons de pierres, de cordons de perles ou d’émaux cloisonnés sur or, ces dernières sont d’une virtuosité technique à couper le souffle !
Rapportés en grand nombre en Occident, ultérieurement après la quatrième croisade, ces magnifiques objets enrichiront alors les grands trésors ecclésiastiques et princiers, et contribueront à entretenir le mythe de Constantinople « atelier du monde »…

4. Icônes à scènes ou à portraits ?
Quel qu’en soit le support (peinture sur bois, mosaïque, orfèvrerie, broderie ou même ici verre incrusté sur marbre), l’icône (du mot grec signifiant « image ») occupe une place essentielle dans l’Église d’Orient. Loin d’être de simples œuvres d’art, ces représentations sont avant tout des objets de culte offerts à la vénération des croyants.
Une distinction s’opère cependant entre les icônes à scènes et les icônes à portraits. Les premières, de caractère didactique, transcrivent en images les principaux épisodes de l’Ancien et du Nouveau Testament, la vie des saints ou des martyrs, les grandes fêtes liturgiques. Les secondes ont une signification et une origine très différentes : considérées comme sacrées, parfois même miraculeuses, elles peuvent aussi être qualifiées de acheiropoiètes, c’est-à-dire « non faites de main d’homme ».
Hiératique et frontale, cette précieuse icône dérive, par son style, des portraits funéraires romano-égyptiens exhumés pour la plupart dans la région du Fayoum (ie-ive siècles de notre ère).

5. L’architecture et les arts à la gloire du sultan
La conquête ottomane de Constantinople, en 1453, clôt le chapitre byzantin de son histoire. La classe dirigeante se redéfinit autour d’un monarque désormais tout puissant : le sultan. L’architecture et les arts de la cour reflètent cette nouvelle hiérarchie et concourent à exalter, dans ses moindres détails, la figure du souverain. Incarnation symbolique et matérielle tout à la fois de ce pouvoir, le palais impérial, connu de nos jours sous le nom de Topkapi, est un véritable musée qui rassemble une kyrielle de produits de luxe dont certains sont produits dans les ateliers de l’Empire, d’autres importés.
Objets guerriers (tel ce frontal de cheval de parade), religieux, cérémoniels ou simplement domestiques côtoient ainsi des porcelaines de Chine, des textiles importés d’Inde ou de Venise. Mais loin d’être une simple vitrine, le palais abrite aussi en son sein des ateliers prestigieux comme celui du dessin impérial (ou nakkashane) qui décore et enlumine les recueils destinés au souverain.

6. Le harem et le bain, lieux de tous les fantasmes…
Les sultans ottomans, à commencer par Mehmed II le Conquérant, vont transformer leur capitale en vitrine de leur faste et de leur puissance. Rebaptisée Istanbul, la ville atteint au xvie siècle une population de près de 300 000 habitants, ce qui en fait la métropole d’Europe la plus peuplée et surtout la plus cosmopolite !
Mosquées, palais, écoles, bains, bibliothèques, caravansérails, mausolées attestent du raffinement et de la fièvre architecturale qui s’emparent des nouveaux souverains. Se côtoient bientôt, dans un savoureux mélange, de somptueux monuments d’inspiration européenne et de typiques maisons de bois qui font le bonheur des peintres et des voyageurs orientalistes. Parmi les thèmes qui cristallisent le plus les fantasmes occidentaux s’imposent les scènes de harem ou de bain, à forte connotation érotique. Ne symbolisent-ils pas à eux seuls la luxure et l’indolence de l’Orient ?

7. Istanbul, l’expression du voyage oriental
Peu à peu, l’exotisme de pacotille s’efface devant un désir sincère de percer le mystère du « véritable » Oriental. Istanbul continue ainsi d’être l’une des étapes essentielles du « voyage en Orient » magnifié par Gérard de Nerval. Certains artistes occidentaux vont même jusqu’à planter leur chevalet au cœur du palais, tel l’Italien Fausto Zonaro qui sera nommé peintre du sultan ! Mais, c’est surtout à une clientèle fréquentant les salons d’Europe et d’Amérique que ces tableaux sont, pour la plupart, destinés. « L’horizon artistique s’est singulièrement élargi », résumera avec humour Théophile Gautier. Aux côtés des vues pittoresques d’un Istanbul plus artificiel qu’authentique, les représentations des belles Levantines enturbannées font les délices des Occidentaux en mal d’exotisme. Ingres n’a-t-il pas baptisé l’un de ses nus les plus sensuels Le Bain turc ?

Autour de l'exposition
Informations pratiques. « De Byzance à Istanbul. Un port pour deux continents », jusqu’au 25 janvier 2010. Grand Palais, Paris. Tous les jours de 10 h à 20 h, sauf le mardi et le 25 décembre ; à 22 h le mercredi. Tarifs : 11 et 8 s. www.rmn.fr
Saison turque en France. La saison de la Turquie en France se prolonge jusqu’en mars 2010. Près de 400 manifestations et expositions sont organisées dans plus de 80 villes en France. Parmi elles, les relations entre François Ier et Soliman le Magnifique au Musée national de la Renaissance à Écouen et Sarkis au musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg. Programme complet sur www.saisondelaturquie.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°618 du 1 novembre 2009, avec le titre suivant : 7 clefs pour comprendre Istanbul

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