Sculpteur du roi – et du pape –, Edme Bouchardon est présenté dans une importante monographie au Musée
du Louvre cet automne.
1 - Antiquité et nature
Tout au long de sa prolifique carrière, qui le sacra sculpteur du roi, Edme Bouchardon (1698-1762) a joui d’un prestige considérable. L’artiste, admiré par Voltaire, perçu par l’Encyclopédie comme le continuateur de Puget et de Girardon, parvint à conjuguer un répertoire antique et la fidélité à la « nature ». Cette tension est perceptible dans son chef-d’œuvre L’Amour se taillant un arc dans la massue d’Hercule (1750). Le fils de Vénus vient de désarmer Mars et Hercule, dont les attributs gisent à ses pieds – le casque, le bouclier et le glaive d’un côté, la massue et la peau de lion de l’autre. Espiègle, il teste l’élasticité de l’arc qu’il n’a pas terminé de tailler.
Si la composition et le sujet empruntent à l’Antiquité, ainsi que le prouvent des sanguines composées par Bouchardon lors d’un long séjour romain, la gracilité du corps adolescent, la finesse de ses traits et la virtuosité dans le rendu des textures trahissent une diligence exceptionnelle à l’endroit du réel, celle-là même qui heurta nombre de commentateurs : « Il imite le bel antique, et surtout la nature, mais quelquefois il l’imite peut-être trop exactement, et ne l’embellit pas assez » (Bachaumont). Cette ronde-bosse savante, dont la complexité impose au spectateur une circonvolution, fut jugée inconvenante et quitta Versailles pour le château de Choisy. Louis XV, que l’on associait à Hercule, fut-il irrité de se voir ainsi terrassé par l’Amour, lui qui multipliait les histoires adultérines ?
2- Spiritualité et réforme
Fils d’un sculpteur célébré pour sa production de retables et de mobilier d’église, Edme Bouchardon conçut plusieurs compositions religieuses dont l’une des cimes est le second marché signé le 22 juin 1734 en vue d’un ensemble destiné à l’église Saint-Sulpice, à Paris. Pour les huit sculptures réalisées – six apôtres, un « Sauveur embrassant sa croix » et une « Vierge de douleur » –, Bouchardon se souvient des sculptures religieuses, notamment michélangelesques, étudiées lors d’un séjour romain qui le vit « modele[r] tous les jours d’après les belles choses ». Mais l’homme n’est pas lige : enveloppée dans une gigantesque étoffe, véritable morceau de sculpture qui perturba les observateurs contemporains, sa Vierge atteste une remarquable inventivité plastique, un souci permanent de renouveler des formes éprouvées. Combien sont-ils les sculpteurs capables de conjoindre dans un même bloc la peine et la grâce, incarnées respectivement par un visage renversé vers l’au-delà et par la délicatesse d’une main ?
3- Vétille et virtuosité
Commandé par son neveu le cardinal Corsini, ce buste de Clément XII est une véritable prouesse technique. Pour ce faire, le souverain pontife donna quatre audiences au jeune sculpteur, qui en tira une terre, aujourd’hui conservée au De Young Museum de San Francisco. Bouchardon, qui se souvient de ses prestigieux aînés – il copia notamment l’un des bustes d’Urbain VIII par Bernin –, conjugue ici rigueur et délicatesse. L’onctuosité de la frange d’hermine de la coiffe d’hiver (le « camauro »), le soin vétilleux apporté aux motifs brodés, le mouvement du menton et les yeux comme absents, manière d’évoquer la cécité naissante du modèle : l’ancien élève de Guillaume Coustou réalise un prodigieux portrait que n’eût pas renié son maître. « Tout le monde est content du portrait du pape que Bouchardon a fini : il faut qu’il soit véritablement bien, puisque les Italiens y donnent leurs applaudissements » : ainsi se félicita Nicolas Vleughels, alors directeur de l’Académie de France à Rome, de l’un de ses meilleurs pensionnaires
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3 clés pour comprendre Bouchardon
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°693 du 1 septembre 2016, avec le titre suivant : 3 clés pour comprendre Bouchardon