À la galerie Emmanuel Perrotin, à Paris, Wim Delvoye (né en 1965 à Wervik, Belgique) déploie quelques éléments de son univers original et iconoclaste. En particulier la maquette en acier d’une chapelle gothique, enchâssant douze vitraux qui reproduisent des scènes intimes ou des corps passés aux rayons X, ainsi qu’une série de cochons tatoués.
Établissez-vous un lien entre les cochons et la chapelle ?
Il y a un petit lien direct, mais aussi des liens dichotomiques : d’un côté le sacré, de l’autre des choses très « flashy », mais aussi la terre et le spirituel. La chapelle va vers la transcendance, le spiritualisme ; les cochons, ce sont plutôt nous, les êtres humains.
Est-ce pour intégrer l’art aux mécanismes de la mondialisation que vous avez monté un élevage de cochons en Chine ?
Certainement. Mais au départ, c’était très naïf, car à l’époque, le mot « globalisation » existait, certes, mais ce n’était pas encore un débat. Dès le début des années 1990, j’ai travaillé en Indonésie pour faire sculpter mes bétonneuses en bois. C’était perçu un peu comme du colonialisme. Puis, vers 2002-2003, c’est devenu dangereux et je suis allé en Chine avec l’idée d’y faire quelque chose. J’ai toujours voulu créer une ferme comme œuvre d’art, [un lieu] que l’on puisse visiter. J’ai cru que la production me coûterait moins cher. Ce n’est pas vraiment le cas, mais cela m’a permis d’oser faire ce que je n’avais jamais tenté en Europe.
Comment choisissez-vous les motifs que vous tatouez sur les cochons ?
J’ai plusieurs porcheries, dont l’une est consacrée à Louis Vuitton. On trouve tellement [d’objets de cette marque] en Chine que ce n’est pas une contrefaçon ; c’est une contrefaçon d’une contrefaçon d’une contrefaçon ! L’autre catégorie, ce sont les « cochons classiques », c’est-à-dire classiques dans le tatouage, avec des décors très triviaux, quelquefois violents, des têtes de mort, etc. C’est d’après moi le plus intéressant parce que, même en photo, on reconnaît les images comme s’agissant de tatouages. Il y a en outre une iconographie abondante à explorer dans ce milieu-là, cela représente de multiples facettes de notre vie humaine. Avec ce travail, j’ai quelque part un peu « animalisé » nos désirs et nos rêves, et en même temps un petit peu humanisé ce cochon.
Vous présentez une vidéo sur la vie des cochons dans l’exposition.
Un cochon « taxidermé », c’est comme un fauteuil de Ron Arad, un objet que vous pouvez désirer avoir, une pièce unique. Cette vidéo, que j’appelle « Pig Brother », montre la totalité de mon projet. Elle fonctionne comme une surveillance, mais idéalement, je voudrais installer une webcam afin que les collectionneurs puissent patienter. C’est un peu cynique, mais l’art prend toute une vie. Et ce cochon devient vraiment de l’art. Ce film explique pourquoi le temps est une donnée nécessaire à [l’élaboration] de cette œuvre.
La chapelle est-elle la maquette d’un projet destiné à être réalisé à grande échelle ?
Oui, la chapelle est en train d’être construite. Je pense qu’elle sera terminée au plus tard à la fin de l’année. Nous avons déjà produit 50 % des pièces. Ce sont comme d’énormes morceaux de Meccano qui se trouvent dans un champ et attendent le montage. Je ne suis qu’un petit élément dans le chantier. Je suis artiste, mais il y a beaucoup d’ego qui doit être remplacé par une idée collective, « collectiviste » presque. Je suis très fier de voir aboutir un projet comme celui-là, car il est techniquement très compliqué et des professionnels sont impressionnés par la qualité de sa conception. J’ai vraiment choisi d’être artiste, mais j’ai toujours été gêné par cette idée selon laquelle, si on opte pour une école d’art, c’est qu’on n’est bon à rien. Ce projet prouve le contraire.
Le modèle a-t-il été créé ou reprend-il celui d’un édifice existant ?
C’est une création fondée sur une documentation précise, que j’ai photographiée moi-même. Je suis allé à Metz, Strasbourg, Bourges, Sens, Paris, Chartres… J’ai visité presque tout ce qui est important dans le gothique. J’ai également lu Viollet-le-Duc. Comme pour la ferme, ce qui n’était au début pas une idée très sérieuse l’est devenu.
Vous semblez détourner ici la forte connotation religieuse du vitrail…
L’idée, dans les vitraux, d’éducation spirituelle et théologique m’intéresse. Dieu traverse la fenêtre sous forme de lumière, et les radiographies sont transparentes, car les rayons X traversent notre corps et montrent tout. C’est comme une image hyperpornographique qui ne l’est plus, car elle ne comporte aucun aspect sexuel. Un couple qui fait l’amour n’est vu que sous forme de squelettes.
Cherchez-vous, tant avec les cochons qu’avec la chapelle, à mettre en scène un choc des cultures ?
C’est comme la mayonnaise. Si on la laisse deux semaines dans le frigo, elle va se séparer en deux produits qui refusent de se mélanger. Je suis comme l’émulsion qui essaye de faire se rejoindre les deux !
Jusqu’au 12 mai, galerie Emmanuel Perrotin, 76, rue de Turenne, 75003 Paris, tél. 01 42 16 79 79, www.galerieperrotin.com, tlj sauf dimanche et lundi 11h-19h.
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Wim Delvoye
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°255 du 16 mars 2007, avec le titre suivant : Wim Delvoye