Claude Parent, à la Cité de l’architecture et du patrimoine, et R & Sie, au Laboratoire, à Paris, montrent un mode de pensée complémentaire
PARIS - « Un trait en diagonale, tracé sur une page blanche, c’est une colline, peut-être une montagne, une montée, une descente, une chute ou une ascension. » À l’orée des années 1960, Claude Parent et Paul Virilio définissent leur théorie de la « fonction oblique ». Puis, Parent édifiera quelques manifestes architecturaux, matérialisation du vertige, solidification d’une pensée autonome. L’exposition qui lui est consacrée à la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris, rend un hommage tardif, mais essentiel, à un architecte dont la rareté ne doit pas masquer l’importance et l’influence (lire le JdA no 317, 22 janvier 2010). Nombreux sont ceux, parmi les stars de l’architecture actuelle – Daniel Libeskind, Coop Himmelb(l) au ou Zaha Hadid – qui lui doivent beaucoup, pour ne pas dire plus.
Au premier regard, ce qui saisit, c’est la richesse, le foisonnement de l’œuvre graphique. Suivent les maquettes, réalisées en bronze ou en bois de tilleul, que l’on aimerait toutes voler tant elles composent d’étranges figures. Frédéric Migayrou et Francis Rambert, les commissaires de l’exposition, se sont, à l’évidence, transformés en « chineurs » célestes. Quant au scénographe, Jean Nouvel, le disciple préféré de Parent, il a su s’effacer devant le maître, jouant astucieusement du biais pour évoquer l’oblique. Peu de réalisations, on l’a dit, mais une époustouflante leçon d’architecture, d’intelligence, d’invention et d’élégance.
L’oblique et la roborique
Depuis les hauteurs de la colline de Chaillot, il convient de s’élancer vers les arrières du Palais-Royal. Là, au Laboratoire le bien nommé, Caroline Naphegyi, directrice artistique du lieu, accueille une exposition de R&Sie qui pourrait bien, cinquante ans plus tard, constituer la version actuelle de ce que fut Parent cinquante ans plus tôt. Soit le résultat intermédiaire d’une recherche qui explore de nouveaux modes d’agencement, de structuration et de transaction de l’architecture. Ici, ce n’est plus l’oblique qui domine, mais la robotique, la neurobiologie et les mathématiques. Car, confie François Roche, cofondateur de l’agence R&Sie, il convient de « ne pas laisser la science à ses seules hypothèses. Aux architectes de scénariser, de donner forme, de procéder à une narration ».
Autant, chez Parent, la visite de l’exposition relève du classicisme, autant, ici, on a le sentiment de pénétrer au plus profond du virtuel, de l’indicible, de l’inexploré. Comme si, prenant le relais de Parent, Roche et ses complices élaboraient des dispositifs hétérotopiques, paranoïaques, vecteur et support de narration qui ne sont lisibles que par ceux qui prennent le risque de les emprunter. Voilà deux expositions majeures pour qui s’intéresse à l’architecture comme langue, comme écriture et comme pensée. Deux démonstrations magistrales montrant que les utopies – déchirées, écartelées entre ordre et désordre – ne meurent jamais. Et que, quoiqu’on en veuille, elles n’échappent jamais à la beauté.
CLAUDE PARENT
Commissaires : Frédéric Migayrou et Francis Rambert
Scénographie : Jean Nouvel
CLAUDE PARENT : L’ŒUVRE CONSTRUITE, L’ŒUVRE GRAPHIQUE, jusqu’au 2 mai, Cité de l’architecture et du patrimoine, 1, place du Trocadéro, 75116 Paris, tél. 01 58 51 52 00, www.citechaillot.fr, tlj sauf mardi 11h-19h, jeudi 11h-21h. Catalogue, coéd. Hyx et la Cité, 400 p., 700 ill., 45 euros, ISBN 978-2-9103-8561-3
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Utopies Immortelles
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Commissaire et scénographe : agence R&Sie
UNE ARCHITECTURE DES HUMEURS, jusqu’au 26 avril, Le Laboratoire, 4, rue du Bouloi, 75001 Paris, tél. 01 78 09 49 50, www.lelaboratoire.org, du vendredi au lundi 12-19h
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°320 du 5 mars 2010, avec le titre suivant : Utopies Immortelles