Privée de stars, développant un propos aride, l’exposition vedette organisée
tous les cinq ans à Cassel n’en finit pas de déconcerter.
CASSEL - Rarement une Documenta de Cassel n’aura été aussi éreintée. Quasi unanimement, la presse a tiré à boulet rouge sur la grande exposition allemande, suivant en cela l’opinion de nombreux professionnels du monde de l’art. Pourtant, la Documenta 12 n’est ni plus mauvaise ni meilleure que beaucoup d’expositions. Certes, elle n’est pas une Documenta fondatrice comme fut, par exemple, celle d’Harald Szeemann, mais elle n’en demeure pas moins manifeste à sa manière. Dans la course effrénée des biennales et des foires d’art contemporain, Roger M. Buergel, son commissaire, a choisi de la positionner ailleurs, vraiment ailleurs. Exit donc les stars du marché, les artistes que l’on retrouve, comme à la parade, à Venise ou à Bâle. Comment se positionner face aux foires, quand celle de Bâle, qui s’est déroulée la même semaine que le vernissage de la Documenta, dispose en son sein, avec la section Unlimited, d’une biennale qui remise en division inférieure la plupart des autres ? Cassel répond de la manière la plus radicale en présentant une majorité d’artistes peu ou pas connus des professionnels. Résultat ? Ces derniers ont perdu leurs repères habituels, les spécialistes du marché n’ont pas retrouvé leurs petits, et tous ont (auraient) dû se confronter aux œuvres comme n’importe quel visiteur novice. On comprend que ce contre-pied des organisateurs ait quelque peu dérouté et même déçu. Le grand public, en revanche, ne semble pas en avoir été affecté, puisque l’exposition, à mi-parcours, avait déjà attiré davantage de visiteurs qu’en 2002 au même moment.
La Documenta 12 n’en finit pas de déconcerter. D’abord, parce que les travaux de chaque artiste ne sont pas regroupés par salles thématiques mais éclatés sur l’ensemble des sites (six au total). Il faut alors reconstituer mentalement l’ensemble de l’œuvre. Cet accrochage permet néanmoins de réévaluer à chaque fois la démarche d’un artiste, pour le meilleur (John McCracken), mais aussi pour le pire (Juan Davila). Ensuite, l’exposition est intellectuellement et esthétiquement aride. Elle met en scène les « cassures de l’histoire », pour reprendre les termes de Buergel, que ce soit le colonialisme (avec les pièces magistrales de Romuald Hazoumé), les rapports entre Israël et la Palestine (Yael Bartana), ou même la question basque (Ibon Aranberri). Comme à la biennale de Venise 2007, les conflits restent très présents. L’exposition revisite aussi un aspect de l’art minimal et conceptuel réalisé dans les années 1960-1970 dans les pays de l’Europe de l’Est. Ainsi du travail des Tchèques Bela Kolárová et Jirí Kovanda, ou du duo polonais Kwiekulik. L’ouverture vers l’Inde est aussi patente avec de nombreuses œuvres de Nasreen Mohamedi, « une star dans son contexte », selon Roger M. Buergel, qui voit aussi dans son travail l’un des thèmes par lui affirmé de la Documenta : « la modernité est-elle notre antiquité ? ». Ce sujet, mais aussi les deux autres – « La vie ! Qu’est-ce que la vie tout court ? » et « Éducation : que doit-on faire ? » –, restent cependant difficilement lisibles dans un parcours qui apparaît néanmoins extrêmement construit.
Privée de stars, développant un propos aride, la Documenta 12 joue une musique difficile. Mais derrière un désenchantement fin de siècle qui empiète encore sur celui qui reste à écrire, se profile une autre partition : celle qui transpose une histoire parallèle. Difficile dans ces conditions de s’entendre.
Jusqu’au 23 septembre, divers lieux, Cassel (Allemagne), tél. 49 561 70 72 70, www.docu menta12.de, tlj 10h-20h - Commissaire artistique : Roger M. Buergel - Curatrice : Ruth Noack - Nombre d’artistes : 122 - Budget : 19 millions d’euros
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Une histoire parallèle
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Abonnez-vous dès 1 €Initié en 1977, le Skulptur Projekte Münster a fait de cette charmante ville universitaire de Westphalie (Allemagne) l’un des hauts lieux de l’art dans la ville. Y sont ainsi intervenus de façon pérenne des artistes tels que Donald Judd, Richard Artschwager, Daniel Buren, Dan Graham, Rebecca Horn, Rémy Zaugg ou Huang Yong Ping. Tous les dix ans, la cité se pare de nouvelles œuvres et trente créateurs ont été invités à intervenir cet été par les commissaires Brigitte Franzen, Kasper König et Carina Plath. Alors que leurs aînés avaient signé des gestes forts, la tendance 2007 est plutôt à la dilution. La frontière entre l’art et la vie paraît tellement inframince qu’il en devient difficile parfois de faire la distinction entre ce qui est œuvre et ce qui ne l’est pas. Ainsi des deux massifs de Rosemarie Trockel, des toilettes publiques remises à neuf par Hans-Peter Feldmann ou du chemin tracé dans l’herbe par Pawel Althamer. Dominique Gonzalez-Foester propose, elle, de redécouvrir les œuvres dans un parcours tendance golf miniature, et, dans un autre genre, le couple Eva Meyer/Eran Schaerf signe une vidéo toute en subtilité inspirée de l’histoire de la ville. Enfin, Bruce Nauman a pu réaliser cette année le projet qu’il avait prévu pour la manifestation en 1977 : Square Depression. Une pièce qui justifie à elle seule le déplacement. Skulptur Projekte Münster, jusqu’au 30 septembre, divers lieux dans la ville, Münster (Allemagne), tél. 49 251 5907 201, www.skulptur-projekte.de
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°264 du 7 septembre 2007, avec le titre suivant : Une histoire parallèle