Avant Paris, Londres revient sur la carrière exemplaire de cohérence et d’originalité de Fischli & Weiss. Le duo suisse joue sur un quotidien porté par des ressorts extraordinaires.
LONDRES - « Are we loosing control ? » (Perdons-nous le contrôle ?). Cette interrogation sinue parmi de nombreuses autres au sein d’un entrelac de questions se mouvant sur un mur noir, au gré du passage de diapositives. Avec Questions (2002-2003), installée en position centrale de leur rétrospective organisée par la Tate Modern, à Londres, la paire d’artistes composée par Peter Fischli et David Weiss concentre et essaime, en plusieurs langues et avec un réalisme teinté d’ironie et de poésie, l’essentiel de ses préoccupations : dire le monde tel qu’il est à travers les prismes du populaire, de l’humour et du cliché.
Depuis la fin des années 1970, les compères se livrent donc, patiemment, à un savant exercice d’archivages de fragments, d’attitudes, de formes et de postures du réel. La cohérence sans faille de leur projet, remise ici en perspective, s’affirme dans une œuvre qui, comme Questions, refuse la linéarité, privilégiant plutôt les méandres et détours en se montrant inqualifiable en termes de technique ou d’esthétique.
Ainsi retrouve-t-on des séries photographiques telles les Equilibres, Quiet Afternoon (1984), savants bricolages d’objets toujours proches de l’effondrement, ou les Airports (1987-2006), vues de pistes d’aéroports délivrées de toute l’agitation qui d’ordinaire les caractérise. Le mélange de cette dernière série avec une partie de leurs Flowers, Mushrooms (1997-1998), images de fleurs et de champignons doublement exposées, et par là même rendues irréelles, constitue l’un des moments forts de l’exposition, prouvant que des images « clichés » peuvent détenir une profondeur autre que formelle. Surtout, elle impose un autre degré de lecture et de réception du banal.
Entre humour et sensation
C’est d’ailleurs le banal qui constitue le ciment de cette grosse racine moulée dans du caoutchouc (Big Root, 2005) ou de la délicieuse série de petites sculptures en argile intitulée Suddenly this Overview (1981-2006), dont quatre-vingts pièces sont ici rassemblées. Touchantes par leur apparente simplicité et la rudesse de leur modelage manuel, ces saynètes reproduisent la diversité du monde et des vies qui l’animent, balançant entre humour et sensation d’une peur diffuse, lorsque point la question initiale de la perte de contrôle.
L’interrogation quant au contrôle potentiel exercé par chacun sur le cours des événements s’avère capitale. Elle se retrouve en outre au centre de The Way Things Go (1986-1987), leur film emblématique basé sur le déséquilibre des choses, qui voit s’accumuler les catastrophes d’une réaction en chaîne lorsque c’est une instabilité chronique qui semble régir le monde.
Sous une autre forme mais avec des préoccupations pas si éloignées, Fischli & Weiss, affublés de costumes d’ours et de rats, s’interrogent quant aux possibilités de la condition d’artiste, au cours d’un hilarant road-movie californien (The Point of Least Resistance, 1981) où l’un des deux n’hésite pas à s’exclamer, à la fois candide et lucide, qu’il « hait le chaos du monde » ! Au demeurant, une œuvre de cette trempe méritait mieux qu’une installation bruyante, hors des salles d’exposition, à côté des tables de la cafétéria et de la baraque à sandwiches ! Plus profonde et proche de l’expérience initiatique, leur déambulation, dans les mêmes atours, au sein de grandioses paysages montagnards (The Right Way, 1982-1983), prend une autre gravité quand la projection est juxtaposée aux deux costumes enfermés dans des boîtes en Plexiglas sombre (Rat and Bear Costumes, 1980-2004).
À l’instar des quelque trois mille images (ici enchaînées en trois montages vidéo) shootées de par le monde pour, selon les dires de Weiss, sortir de l’atelier et « mettre de côté le bricolage » (Visible World, 1987-2000), c’est le caractère globalement encyclopédique de leur œuvre entière, accentué par la constitution de séries, qui impressionne à la vue de cette rétrospective. D’autant plus que les artistes, poussant toujours la curiosité, sont sans cesse parvenus à figurer l’ordinaire via des ressorts qui le sont moins, parvenant de fait à informer sans le moindre aspect documentaire. C’est ce qui donne à leur projet, tout entier fait de recherches en profondeur à l’amateurisme feint, sa finesse et une teneur des plus réjouissantes.
- Commissariat : Vicente TodolÁ, directeur de la Tate Modern, et Bice Curiger, conservateur à la Kunsthaus de Zurich - Nombre d’œuvres : 215 - Itinérance : de fin février à mai 2007 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 14 janvier, Tate Modern, Bankside, Londres, tél. 44 20 7887 8888, www.tate.org.uk, tlj 10h-18h, ven-sam 10h-22h. Catalogue éd. Tate Publishing, 360 p., env. 29,75 euros, ISBN 1-85437-647-0
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°246 du 3 novembre 2006, avec le titre suivant : Une encyclopédie du monde ordinaire