VENISE / ITALIE
VENISE (ITALIE) [31.05.13] - Deux envoyés spéciaux du Journal des Arts livrent leur analyse de la Biennale 2013 qui vient de s’ouvrir. Ici Alain Quemin reproche à l’Exposition internationale son manque d’audace et son regard trop occidental.
Après une édition 2011 de la Biennale de Venise à laquelle la quasi-totalité de la critique internationale avait réservé un accueil très froid, c’est peu dire que l’on espérait tourner la page d’un passage à vide que l’on voulait bref et que l’on souhaitait pouvoir se réjouir sans réserve à l’occasion du cru 2013 de la manifestation. Voilà ces attentes déçues. Non pas que la Biennale de Venise soit indigne ou ne mérite pas la visite – l’offre est tellement vaste que l’immense exposition réserve presque systématiquement d’heureuses surprises – mais il manque clairement une vision d’ensemble, une lisibilité qui puissent pleinement convaincre.
En 2013, c’est davantage dans les pavillons nationaux que dans la sélection internationale que le visiteur trouvera son bonheur. Ces pavillons nationaux, dont certains remarquables, sont bien la preuve, qu’il est possible d’organiser aujourd’hui une manifestation de haut niveau en puisant dans la création la plus contemporaine. Ce, dans de nombreux pays.
L'exposition internationale
Depuis 1998 – il convient ici de le rappeler - la biennale d’art contemporain de Venise n’est plus organisée uniquement sur le modèle des pavillons nationaux comme tel était le cas traditionnellement et elle se compose désormais de deux sections distinctes : outre la précédente, dans laquelle chaque pays est autonome, décide lui-même du choix de son commissaire et de son ou de ses artistes ainsi que du projet qui sera présenté, elle est désormais complétée par une exposition internationale pour laquelle un commissaire général est spécifiquement désigné. En 2013, c’est le très jeune Massimiliano Gioni (il est né en 1973), conservateur au New Museum de New York et proche des proches de son compatriote artiste Maurizio Cattelan, pleinement intégré comme celui-ci à la scène new-yorkaise, qui a été choisi.
On pouvait attendre de cette jeunesse de l’audace, au lieu de quoi, cette édition de la biennale joue largement la sécurité avec beaucoup d’œuvres déjà anciennes qui ne rejoignent la scène contemporaine que par la grâce du commissaire. Seule relative prise de risque, l’accent mis – sans nuance – sur l’art brut, qui semble comme découvert par le commissaire général de la biennale, quand d’autres institutions, comme la Maison Rouge à Paris, le marient de longue date - et avec intelligence - à l’art contemporain. On mettra donc à l’actif de Massimiliano Gioni ce coup de projecteur porté sur l’art brut… mais on aurait aimé que les choix soient parfois plus pertinents, car l’art brut n’est jamais aussi intéressant que quand on accorde toute l’attention qu’elle mérite à la dimension esthétique de celui-ci.
L’exposition comporte des pièces tout à fait excellentes en ce domaine et d’autres qui ne sont guère qu’anecdotiques, semblant faire fi du principe selon lequel l’art brut est aussi et peut-être surtout… de l’art. Pour le reste, on aura aussi du mal à comprendre l’enchaînement des salles, quelle vision sous-tend réellement la présentation. Selon Paolo Baratta, président de la biennale de Venise, « la réalité déploie sur une table dressée avec profusion une pléthore d’images et de visions pour l’usage quotidien ; toutes ces images nous frappent et, bien que nous soyons incapables de leur échapper, c’est peut-être l’artiste qui, pour peu que quiconque soit en mesure de le faire, pourrait passer sans encombre à travers elles, comme le fit Moïse à travers la Mer rouge ». Dont acte.
Une sélection trop occidentale
Un commissaire qui vit depuis des années à New York, cela peut être formidable : il se trouve ainsi plongé au cœur même de la scène la plus fascinante pour la création contemporaine. Mais cela autorise-t-il à être si peu sensible à la création contemporaine dans sa dimension la plus réellement plurielle ? Rencontrer, au 21ème siècle, une biennale « internationale » aussi occidentalo-centrée et même américano-centrée, apparaît quand même décevant.
Etonnamment, les cartels (parfois difficiles à trouver et bien faiblement éclairés) qui accompagnent les œuvres se contentent d’indiquer le lieu de naissance des artistes ! Outre ceux, déjà excessivement nombreux, qui sont nés et vivent aux Etats-Unis, on peut supposer que d’autres, nés dans des pays plus « périphériques » de la scène contemporaine, ont depuis longtemps rejoint cette nation. Puisque l’objet de la biennale 2013 est de construire, comme le clame son titre, un « palais encyclopédique », est-ce à dire que ce palais ne saurait pratiquement être qu’étatsunien et que les autres pays, non-occidentaux en particulier, ne sauraient pas valablement apporter leur contribution à l’édifice ? C’est pourtant bien dans l’exposition internationale que les artistes non-occidentaux trouvent généralement leur meilleure place. Ici, ils sont terriblement négligés.
Un vaste barnum
La biennale de Venise est une vaste machine, unique au monde par le cadre somptueux qu’elle offre aux œuvres – nous pensons ici tant à la ville de Venise elle-même qu’à l’espace des Giardini et leurs pavillons nationaux tout à fait exceptionnels, mais aussi aux volumes superbes de l’Arsenal. Cette vaste machine, pourtant, court toujours le risque de tourner au barnum de l’art contemporain. Autant le dire tout net, les prétendues journées organisées à l’attention de la presse n’en sont pas. Afflue alors le monde l’art contemporain tout entier qui empêche les journalistes, ceux-là mêmes qui sont censés rendre compte en avant-première de la manifestation, de voir les œuvres dans de bonnes conditions … ou même de voir une bonne partie de la biennale ( ! ) en raison d’interminables files d’attente. Il faut avoir l’honnêteté de le signaler à ses lecteurs. Dans ces conditions peu favorables, vu l’affluence considérable devant bien des pavillons et dans les salles, il n’est guère raisonnable de pouvoir rendre compte de la manifestation avant trois jours passés sur place. A un rythme frénétique.
D’autant que, sans cesse, la biennale s’étend, élargissant considérablement l’exposition qui, depuis ses débuts en 1895, ne s’était tout d’abord guère étendue qu’au sein des Giardini. Depuis, elle a considérablement accru la surface d’exposition, justifiant la restauration des bâtiments de l’Arsenal situés à quelques centaines de mètres du site historique. Ils accueillent désormais, outre la seconde partie – la plus importante en termes de surface - de l’exposition internationale qui dépasse ainsi très largement le cadre du pavillon central des Giardini, de plus en plus de pavillons nationaux que l’enceinte historique ne peut plus accueillir faute de place.
Si, traditionnellement, les pavillons nationaux étaient composés de bâtiments distincts, comme ce nom tend à l’indiquer aujourd’hui encore, les surfaces dont disposent les derniers entrants ne sont plus guère que des salles qui leur sont propres dans l’enceinte des - immenses – entrepôts de l’Arsenal. Les pays qui, depuis des décennies, ne pouvaient pas disposer d’un pavillon dans l’enclos des Giardini et qui devaient investir de nombreux lieux partout dans la ville ont bien compris l’intérêt d’être présents au cœur même d’un des deux sites de la biennale pour gagner en visibilité. Ainsi, le Portugal ne fait pas mystère qu’il souhaiterait, dans un avenir proche, disposer d’un espace au sein de l’Arsenal.
Le modèle approche toutefois de ses limites avec les distances considérables qu’il faut désormais parcourir… ne serait-ce que sur les deux sites principaux. Subsistent également, pratiquement dans toute la ville de Venise – surtout principalement dans les quartiers les plus fréquentés par les touristes ou les plus proches des deux sites de la biennale - une multitude d’espaces occupés par les pays privés de pavillon dans l’un des deux sites principaux.
L’édition 2013 de la Biennale de Venise, ce sont 150 artistes de 38 pays pour la sélection internationale, 88 pays qui sont représentés dans le cadre de pavillons nationaux, dont 10 pour la première fois : Angola, Bahamas, Bahrein, Côte d’Ivoire, Kosovo, Koweit, Maldives, Paraguay, Tuvalu et… Saint-Siège dont l’engagement en faveur de l’art contemporain ne semblait pas des plus affirmés depuis plusieurs décennies, si ce n’est plusieurs siècles. Si l’on peut donc regretter que la ligne générale de la manifestation ne soit pas davantage convaincante, subsistent l’abondance de l’offre et, dans l’exposition internationale, quelques œuvres remarquables, restent également des pavillons nationaux très réussis. Dont nous ne manquerons pas de rendre compte ici très prochainement.
La Biennale de Venise, Giardini – Arsenale, de 10 h 00 à 18 h 00 tous les jours sauf le lundi (fermé les lundis 03 juin et 18 novembre).
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Une biennale de Venise en demi-teinte
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Abonnez-vous dès 1 €Les Venetians (2013) de Pawel Althamer présentés à la 55e Exposition Internationale dans l'Arsenale - Photo Francesco Galli - Courtesy La Biennale de Venise