En puisant des thèmes dans leur quotidien et en les passant au filtre de logiciels de graphisme sophistiqués, artistes et designers donnent un second souffle à un domaine jugé ringard : la broderie.
La broderie est généralement considérée comme une activité féminine domestique et, bien souvent, connotée. C’est loin d’être vrai aujourd’hui. Nombre de créateurs s’en sont en effet emparés, au premier rang desquels l’artiste Ghada Amer. De ses textes, comme La Légende de Madjnûn, à ses images de femmes se livrant à des activités quotidiennes – cuisine, repassage, lessive… – ou, plus crues, au plaisir de l’onanisme, Ghada Amer a, depuis le début des années 1990, bâti une œuvre sensible qui n’a de cesse de repousser la frontière séparant l’art de l’artisanat .
À en juger par les recherches présentées ces derniers temps dans le domaine, il semble que les travaux d’aiguilles soient à nouveau en vogue, autant chez les artistes que chez les designers. Dans une récente exposition à la Nano Galerie (1), à Paris, la photographe Morgane Le Gall a montré une série de broderies assez singulières, des scènes anodines et figuratives réalisées à partir de photographies retravaillées sur ordinateur : une main coupant une fleur à l’aide d’un sécateur, un portrait de femme auréolé de petites flammes, un enfant qui court dans des gerbes d’eau… Ces « tableaux » ne sont brodés que partiellement, laissant apparaître par endroits le tracé originel. De l’inachevé sourd une évidente légèreté. Tout l’inverse du Japonais Satoru Aoyama, dont on a pu voir en octobre à la FIAC, sur le stand de la Mizuma Art Gallery (Tokyo), des œuvres de soie et de coton ouvragées de bout en bout, sans le moindre espace vierge. D’un côté, une série d’objets – tel un carton d’emballage Sony – ou de « monuments » de métropoles européennes, telle la London Eye, cette grande roue plantée sur un quai de la Tamise, à Londres. De l’autre, des portraits de ses proches, voire de l’artiste lui-même, comme ces quatre minuscules autoportraits, genre photos d’identité, cousus point à point. Un travail méticuleux qui met en relief, avec une imparable acuité, nuances et traits des différents visages.
De fil en aiguille, les designers, eux aussi, s’y sont mis. En 2000 déjà, la Néerlandaise Hella Jongerius (lire le JdA n° 178, 10 octobre 2003) avait réalisé deux pièces étonnantes : Embroidered Tablecloth, une nappe avec une assiette en porcelaine « cousue » à même la toile de lin, et Giant Prince, un énorme vase, en grès émaillé, brodé d’un motif de dragon en coton. D’autres lui ont emboîté le pas. En avril dernier, au Salon du meuble de Milan, Miriam van der Lubbe a présenté une série de tissages amusants, commande du musée néerlandais du textile de Tilburg. Elle a tout simplement réactualisé des motifs traditionnels en saynètes incongrues dans lesquelles des personnages, en costume d’époque, évoluent en roller, sur fond d’éoliennes géantes ou du pont Erasmus, à Rotterdam, achevé en… 1996. À Milan toujours, Mari Relander, 28 ans, et Anna Katriina Tilli, 26 ans, fraîchement diplômées de l’université d’art et de design d’Helsinki et réunies au sein de l’agence Perhonen – « papillon » en finnois –, ont exposé une lampe et une table de la collection « Anémone », inspirée des nappes anciennes. Les deux objets associent un matériau moderne – un verre dépoli sérigraphié d’un motif de dentelle traditionnelle – à de « vrais » morceaux de dentelle.
En septembre enfin, dans l’exposition « Signes des écoles d’art », au Centre Pompidou, Sandrine Pelletier, designer en communication visuelle (promotion 2002 de l’École cantonale d’art de Lausanne), a présenté « Wild Boys », séduisante recherche sur les catcheurs anglais. Y étaient dévoilées des broderies où, façon Ghada Amer, Sandrine Pelletier laisse apparents les fils d’arrêt, en un joyeux effilochage semblable à des coulures de peinture. Également, des pièces en volume, comme cette étonnante cagoule de combat… exécutée au crochet. Preuves que même dans le monde du design chic, il y a encore quelque histoire nouvelle à broder.
(1) 26 avril-6 juin 2003.
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Un médium qui garde son piquant
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°182 du 5 décembre 2003, avec le titre suivant : Un médium qui garde son piquant