Tony Cragg (né en 1949 à Liverpool) vit aujourd’hui en Allemagne. Il a toujours revendiqué une grande attention portée aux matériaux. L’exposition que lui consacre le Musée d’art moderne de Saint-Étienne regroupe une quinzaine de sculptures de grande taille en bois, bronze, marbre, résine ou fibre de verre.
Pourquoi avez-vous choisi, à vos débuts, de travailler avec des fragments d’objets en plastique, comme le rappelle l’une de vos œuvres, « La Lune bleue », de 1980, qui appartient à la collection du musée et est montrée à l’occasion de votre exposition ?
Depuis Marcel Duchamp, Dada, l’introduction de l’objet industriel dans l’art et les mouvements des sixties, la sculpture passe par l’objet. Lorsque j’ai commencé à la fin des années 1960, au début des années 1970, ma démarche a consisté à trouver un nouveau matériau et des objets différents de ceux habituellement utilisés. En même temps, avec des artistes comme Henry Moore et Anthony Caro, véritables symboles culturels britanniques, le contexte n’était pas facile. J’avais conscience que mon approche n’était pas suffisante et que les perspectives étaient ici limitées. Je crois d’ailleurs que, depuis cette époque, le seul à avoir trouvé quelque chose dans ce registre est Damien Hirst parce qu’il a introduit l’objet naturel comme ready-made.
J’ai alors compris que la vraie question n’était pas « quel matériau ? », mais « que faire avec ce matériau ? ». J’ai donc pris la décision d’utiliser mes morceaux de plastique trouvés comme un dictionnaire, une encyclopédie de formes, qui sont encore aujourd’hui au centre de mon travail.
Mais depuis une vingtaine d’années, vous avez radicalement changé de matériau et choisi le bois, le bronze, le marbre… Qu’est-ce qui vous a conduit à cette rupture ?
J’ai simplement eu envie de passer à autre chose, je ne pouvais plus me contenter de ramasser des objets, je voulais être un artiste plus actif. Mais pour moi cette transition n’a pas été une rupture, cela n’a pas été traumatique. Et ce d’autant plus que tout matériau a sa couleur, et un potentiel émotionnel, puisque nous percevons le monde grâce à la lumière réfléchie par la surface des objets. Derrière toute surface, il y a un état énergétique, une cause, et c’est cela qui m’intéresse. On ne voit toujours que la forme stabilisée des choses, alors qu’il n’y a pas de formes stables. Ce que nous voyons n’est que la partie émergée d’un iceberg, constitué de beaucoup plus d’éléments que ce qui est mis sous nos yeux. Nous ne saisissons donc qu’un tout petit peu de réalité. Voilà le sujet de mes sculptures.
Elles s’inscrivent aujourd’hui dans une forme assez classique…
On peut effectivement le penser. Mais la façon de travailler, le système utilisé sont très en avance. Il y a trois manières de faire de la sculpture : on peut tailler, couper, extraire la forme d’un matériau ; on peut construire la forme, ce qui est très intéressant parce que celle-ci devient le fruit d’une énergie et elle est en même temps statique – elle est un défi à la gravité, en anglais on dit « erection » ; enfin on peut donner un rôle, une fonction aux objets. Depuis le début du XXe siècle, ces trois possibilités se combinent différemment. La construction ne me correspond pas. Donc je me situe plus au carrefour des deux autres.
Y a-t-il une influence du monde minéral ou organique dans votre travail ?
Quand j’étais étudiant, j’étais fasciné par le minimalisme, que je trouvais pur, clair. J’aimais aussi l’idée que ces artistes avaient inversé les relations de l’observateur à l’objet d’art puisque ce dernier, n’étant pas séduisant, obligeait à une plus grande réflexion.
Par la suite, je me suis lassé parce que le minimalisme s’est de plus en plus accompagné de textes, d’explications, de modes d’emploi qui m’ennuyaient. Je m’en suis donc désintéressé mais j’en ai retenu la géométrie. Car même si mon travail paraît très organique, il est en fait d’abord pensé, et à tous les niveaux, de façon géométrique. Cela n’est d’ailleurs pas antinomique : même pour les cellules ou les molécules, la géométrie et l’organique sont deux facettes, deux moyens d’évocation esthétique de la même chose. Quant à moi je construis une forme avec une logique, je peux même exagérer ce principe jusqu’à ce qu’il glisse vers l’émotionnel et fasse oublier la géométrie. Mais celle-ci est toujours là, c’est elle qui structure tout. Le retour à la nature, copier la nature : surtout pas, jamais ça même. Ce n’est pas du tout possible et cela ne m’intéresse pas.
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Tony cragg, artiste : « C’est la géométrie qui structure tout »
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°403 du 13 décembre 2013, avec le titre suivant : Tony cragg, artiste : « C’est la géométrie qui structure tout »