Le Musée du Louvre, à Paris, s’apprête à exposer les collections d’art baroque
de la ville autrichienne. En avant-première, nous sommes partis à leur découverte.
Bientôt neuf heures du matin, dans la vieille ville de Salzbourg. Une brume légère enveloppe les clochers qui tentent de rivaliser avec les cimes des arbres des rochers environnantes, surplombées par la forteresse gothique Hohensalzburg. On frappe à la porte du monastère bénédictin Saint-Pierre. Frère Kodinian, vêtu de son habit noir, nous ouvre la porte, habituellement fermée aux visiteurs. Et voilà qu’en lui emboîtant le pas, on croit voir les aiguilles des horloges aller à rebours et remonter les siècles, jusqu’à ce XVIIe siècle où les princes-archevêques firent de cette ville-État du Saint Empire romain germanique sur laquelle ils régnaient un foyer de l’art baroque et rococo. Sous l’impulsion de ces protecteurs des arts qui expulsèrent les protestants de la ville en 1731, Salzbourg, aujourd’hui classée au patrimoine mondial de l’Unesco, devint la « Rome du Nord », ce que l’exposition du Louvre « Le Geste baroque. Collections de Salzbourg » met en lumière à partir du 20 octobre 2016. Mais partons d’ores et déjà sur la trace de ces princes-archevêques…
Visite du monastère Saint-Pierre
Frère Kodinian nous introduit dans la salle à manger ornée de portraits des princes-archevêques et de stucs rococo des plus grands maîtres de l’école de Bavière. Et de nous conduire à travers les pièces en enfilade, jusqu’à un petit autel et un oratoire personnel, dont une petite fenêtre intérieure offre une vue imprenable sur l’église de Saint-Pierre qu’elle surplombe – pas moins ! Ici, du reste, chaque pièce de porcelaine, chaque meuble, chaque tapisserie, exprime l’opulence du monastère. Ses collections se sont constituées par les dons des moines, fils de familles nobles, en remboursement de l’argent de l’abbaye qu’ils avaient dépensé. « Ils étaient habitués à un certain train de vie ! », commente frère Kordinian qui s’en amuse avec nous, époussetant lui-même cet héritage si précieux que les femmes de ménage n’osent pas toucher…
Mais le voici déjà qui traverse le cloître verdoyant planté d’arbres et de rosiers, pour nous ouvrir la porte de la bibliothèque de cette abbaye qui consacre près d’un million d’euros par an à l’entretien de son patrimoine culturel. Ses ressources, elle les tire toujours des biens immobiliers, des terres agricoles et des forêts qu’elle possédait déjà à l’époque baroque. Près de cent cinquante mille ouvrages, dont les plus anciens remontent au Moyen Âge, sont conservés dans ces salles décorées de boiseries et de peintures. Fondée au VIIe siècle, l’abbaye témoigne ainsi par sa magnificence de la richesse et de la puissance des commanditaires religieux de cette ville élevée au rang d’archevêché au VIIIe siècle, puis érigée en principauté ecclésiastique du Saint Empire romain germanique en 1278, jusqu’à son rattachement à l’Autriche en 1803.
Le Musée Saint-Pierre
On passe une porte étroite et voici qu’on se retrouve dans la longue galerie du Musée Saint-Pierre ! Cette fois-ci, l’espace est ouvert aux visiteurs. Ceux-ci peuvent arpenter sans mettre un pied dehors les 15 000 m2 du complexe palatial du quartier de la Cathédrale, siège du pouvoir, construit au XVIIe siècle par le prince-archevêque Guidobald Graf von Thun, qui régna sur Salzbourg de 1654 à 1668 : la Residenz, ses salles d’apparat, sa galerie, le Musée de la cathédrale et le Musée Saint-Pierre, donc, dont le Louvre exposera certaines œuvres de maîtres méconnus en France. Ainsi, le ténébriste Paul Troger dont on peut admirer un Christ au mont des Oliviers, ou Martin Johann Schmidt, dit Kremser Schmidt, un des artistes les plus prolifiques du rococo et du néoclassicisme. Vous souhaitez pimenter la visite ? Ne manquez pas les étonnants tableaux miniatures en cire de Johann-Baptist Citto ni l’opulente mitre de l’abbé de Saint-Pierre, étincelant de pierres colorées dignes d’une coiffe royale… Puis perdez-vous dans les galeries de la Residenz. Levez les yeux pour plonger votre regard dans les fresques de Johann Michael Rottmayr et des frères Martino et Bartolomeo Altomonte, dont des œuvres seront montrées au Louvre, et admirez les stucs de Johann Baptiste Hagenauer… dont vous retrouverez la monumentale Vierge terrassant l’hérésie sur la place de la Cathédrale.
Vous reconnaissez dans toutes ces œuvres des accents de la monumentalité classique de Versailles et des sculptures du Bernin ? Ne vous en étonnez pas : dans ce foyer de création extrêmement fertile qui enfanta Mozart, au carrefour de l’Europe du Nord et du Sud, transitaient des artistes de l’Europe entière, tout comme circulaient des gravures. Les maîtres du baroque n’ont cessé de s’en inspirer à Salzbourg. Si bien que, dans la fontaine de la Residenz, des chevaux de pierre semblent surgir des eaux… comme piazza Navona à Rome ! De même, la cathédrale, remarquable par l’ampleur de sa coupole octogonale et la splendeur de ses stucs, a des airs d’Italie. Et pour cause : au XVIIe siècle, son architecte fut l’Italien Santino Solari, qui éleva cette première cathédrale italienne en pays germanique.
Le Musée de Salzbourg
Ne manquez pas, enfin, d’achever votre visite par celle du Musée de Salzbourg, qui a ouvert ses portes en 2007 dans la somptueuse Neue Residenz (Nouvelle Résidence) : vous y verrez des plafonds de bois remontant à la construction du lieu, vers 1600, sous l’archevêque Wolf Dietrich von Raitenau, mais aussi portraits, pièces et médailles arborant les effigies des princes-archevêques ou encore tableaux, gravures, objets et documents retraçant l’histoire glorieuse de Salzbourg. Le soir, peut-être aurez-vous le privilège d’assister au sein du musée à un concert des élèves de l’école de musique du Mozarteum…
Ne quittez pas Salzbourg sans avoir fait un détour par le château de Hellbrunn et ses jardins. Quelques mois à peine après son arrivée au pouvoir, en 1612, le prince-archevêque Markus Sittikus demanda à Santino Solari, l’architecte italien de la cathédrale de Salzbourg, de lui construire cette villa suburbaine à la mode italienne. Jamais sans doute vous ne vous serez autant émerveillé par des jardins baroques : rares jardins encore en état de marche en Europe, leurs savants systèmes hydrauliques permettent d’arroser les visiteurs distraits ou d’actionner automates et chants d’oiseaux dans des grottes artificielles féeriques. Sans doute Markus Sittikus était-il plus prince qu’évêque !
Un havre de joie et de paix… Fondée il y a 1 200 ans, l’abbaye de Kremsmünster, une des plus riches et plus puissantes du pays, possède toujours son somptueux vivier où elle élève des poissons, notamment pour produire du caviar, ses potagers, ses terres, ses poules, un lycée qu’elle administre, etc. Une cinquantaine de moines y vivent, y prient, y travaillent toujours. Le lieu abrite une riche collection d’objets d’art et une bibliothèque monumentale. Ne manquez pas de vous inscrire à l’avance pour une visite de la tour de mathématiques : de la collection d’histoire naturelle aux étonnants appareils de physique et à l’observatoire, vous irez de surprise en surprise… Mais, surtout, rendez-vous dans l’église abbatiale, bâtie au XIIIe siècle et baroquisée au XVIIe siècle, pour admirer le tableau du maître-autel du peintre Andreas Wolf et les anges baroques en marbre de Johann Michael Zürn le Jeune agenouillés de chaque côté de l’autel – l’un d’eux fera le voyage jusqu’au Louvre.
Le cœur de l’archevêque Leopold Anton von Firmian, qui fit construire ce château en 1736, n’a jamais pu quitter ce lieu idyllique : il est enterré dans une chapelle du palais, au pied d’un autel grandiose en marbre. À l’étage, le portrait de l’archevêque orne toujours la grande salle, dont la terrasse offre un panorama à couper le souffle sur le lac et les montagnes. L’acteur et metteur en scène Max Reinhardt racheta le château en 1918, avec l’ambition de redonner au lieu toute sa splendeur originelle. Aujourd’hui, le château, rendu célèbre par le film La Mélodie du bonheur en 1965, est devenu un hôtel de style rococo parmi les plus élégants de Salzbourg. On ne peut ainsi le visiter qu’un jour par an, le 15 novembre, à moins de faire partie des heureux clients de l’établissement.
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Salzbourg, au pays des princes-archevêques
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Abonnez-vous dès 1 €Du 20 octobre 2016 au 16 janvier 2017, le Louvre invite au voyage à travers une centaine d’œuvres, de dessins, de peintures et de sculptures exceptionnellement prêtés par les musées de Salzbourg : le Musée de Salzbourg, la Galerie de la Résidence, le Musée Saint-Pierre et quelques édifices religieux. Le dessein des commissaires – Xavier Salmon, directeur du département des arts graphiques au Louvre, et Regina Kaltenbrunner, directrice des collections du Musée de Salzbourg – est de faire comprendre au visiteur ce que furent le baroque et le rococo à Salzbourg, en Autriche, et en Allemagne du Sud, en faisant découvrir des maîtres méconnus en France. Le parcours s’ouvre sur une chronologie des princes-archevêques illustrée de leurs portraits et se poursuit par dessins, gravures et modelli des monuments de Salzbourg, puis par un focus sur cinq maîtres au service des princes-archevêques : Johann Michael Rottmayr, Martino Altomonte, Paul Troger, Kremser Schmidt et Meinrad Guggenbichler. Enfin, dans la dernière section, modelli ou bozzetti dessinés, peints ou sculptés en regard de certaines des pièces abouties parmi lesquelles l’ange monumental de Zürn le Jeune de l’église abbatiale de Kremsmünster, témoignent des étapes d’élaboration des œuvres.
Geste baroque. Collections de Salzbourg du 20 octobre 2016 au 16 janvier 2017. Musée du Louvre, Paris-1er. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 9 h à 18 h, nocturne le mercredi et le vendredi jusqu’à 21 h 45. Tarifs : 15 €. www.louvre.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°693 du 1 septembre 2016, avec le titre suivant : Salzbourg, au pays des princes-archevêques