Vous pensiez échapper à l’indiscrétion d’autrui en plongeant dans l’anonymat protecteur d’une grande ville ? Même dans un tel cadre, il est possible qu’il vous faille renoncer dans un avenir proche à passer incognito. En cause, un moyen de surveillance autrement plus intrusif que les caméras quadrillant l’espace public : le fichage génétique.
Jusqu’à présent, la pratique semblait cantonnée aux scènes de crime où des techniciens vêtus de blanc collectent avec d’infinies précautions les échantillons d’ADN que tout criminel laisse derrière lui sans même s’en rendre compte. Mais, à mesure que les progrès informatiques facilitent le séquençage et en abaissent le coût, l’analyse du génome d’un individu devient (presque) à la portée de tous. Pour accéder à cette mine d’informations, il suffira d’un peu de savoir-faire et de quelques poignées d’euros. C’est en tout cas ce que suggère Stranger Visions (« visions d’étrangers »), l’une des œuvres présentées du 27 mars au 12 avril à la Maison des arts de Créteil [lire p. 28] dans le cadre du festival Exit. À première vue, ce sont des visages en 3D dont l’hyperréalisme laisse immédiatement croire à des moulages. Sauf que ce n’en sont pas : créés par l’artiste américaine Heather Dewey-Hagborg, ces portraits ont été entièrement modélisés à partir d’échantillons d’ADN prélevés dans l’espace public. Avec des méthodes dignes de la police scientifique, l’artiste américaine collecte en effet à travers New York toutes sortes de traces – cheveux, chewing-gums, mégots de cigarettes, etc. – qu’elle va ensuite soigneusement séquencer dans un laboratoire de biologie moléculaire. En entrant dans un programme informatique les informations recueillies, elle est alors en mesure de générer un visage à l’imprimante 3D, qu’elle expose en regard de chaque échantillon et d’une photographie prise sur le lieu de la collecte. De l’aveu d’Heather Dewey-Hagborg, l’idée de cette œuvre orwellienne est née dans le cabinet de son psy. En y observant un tableau au demeurant banal, elle constate qu’un cheveu se trouve pris sous le cadre. À qui ce cheveu appartient-il ? À quoi ressemble celui ou celle qui l’a laissé là ? Que peut-on aujourd’hui savoir d’une personne, de son apparence physique, à partir d’un élément aussi ténu qu’un cheveu ? Ces questions ont été le point de départ de Stranger Visions, que l’artiste développe pendant l’année 2012 à Eyebeam, une résidence d’artistes new-yorkaise où s’invente le meilleur des arts numériques. Aussi « scientifiques » soient-ils, les portraits d’Heather Dewey-Hagborg restent des interprétations, la recherche étant encore incapable de déterminer avec exactitude l’apparence physique d’un individu à partir de son génome. Leur hyperréalisme n’a de toute façon pas pour enjeu la ressemblance (tout au plus ont-ils avec leurs modèles un « air de famille »), mais vise bien davantage à rendre immédiatement perceptible l’emprise croissante de la génétique sur nos vies et, avec elle, la possibilité pour quiconque de collecter sur n’importe qui les informations les plus intimes. Nous sommes tous des Big Brothers en puissance, suggère l’artiste.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Patrimoine génétique
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°666 du 1 mars 2014, avec le titre suivant : Patrimoine génétique