Tour à tour artiste, enseignant puis directeur d’école, Patrick Raynaud a abordé l’art à travers différentes focales. Portrait d’un homme sans ego.
Patrick Raynaud est de la famille des taiseux. Plus précisément des industrieux taiseux, de ceux qui ne portent pas leur narcissisme en bandoulière. Secret, le directeur de l’École nationale supérieure des arts décoratifs (Ensad), à Paris, croit plus aux vertus de l’élégance distante qu’à celles de l’agit-prop. « Il ressemble à son œuvre, il est comme ses boîtes transportables, ses dépliages qu’il faut prendre le temps d’ouvrir, de déployer pour voir de quel bois il est fait », remarque Henry-Claude Cousseau, directeur de l’École nationale supérieure des beaux-arts (Ensba), à Paris. Singulier, l’homme l’est indéniablement, puisqu’il a mis depuis quinze ans un couvercle sur son ego de plasticien pour former d’autres créateurs. Syndrome de l’artiste raté ? Pas vraiment, car ce choix s’est fait en plein succès.
La vie de Patrick Raynaud s’est construite à la fois par strates et par tournants. Né à Carcassonne (Aude), d’un père sculpteur classique et d’une mère peintre amateur, il échappe au désert culturel local en dévorant des revues d’art. Son goût pour la littérature et le récit l’oriente d’abord vers le cinéma. Formé à l’Idhec (Institut des
hautes études cinématographiques), il vient à l’art grâce à Sonia Delaunay, qu’il rencontre vers 1970 et avec laquelle il réalise quarante-cinq heures d’entretiens. « Sonia s’est comportée avec Patrick comme une grande sœur, se souvient l’éditeur Jacques Damase. Elle a accepté de lui ce qu’elle n’aurait accepté de personne, par exemple de faire une partie de commentaire dans le film qu’il a réalisé sur Robert Delaunay. » Grâce à elle, il découvrira que l’art peut s’agripper aussi bien à un tableau qu’à un foulard. De fait, Delaunay représente l’un des deux grands sémaphores de sa vie, le second étant le réalisateur Jacques Tati, dont il fut l’assistant sur le film Trafic (1971).
Œuvre transportable
Parallèlement à son activité cinématographique, il exposera dès 1977 ses premiers dépliants à la galerie Harry Jancovici, à Paris. Sans être convaincante, cette expérience le pousse à changer de branche. Une bifurcation nette, car il n’y aura aucune contamination du cinéma dans son œuvre plastique. Très tôt, ses préoccupations le portent vers les périphéries de l’art, le nomadisme de l’artiste, son cortège d’obligations et de résidences. « J’aurais préféré qu’on me donne une subvention pour créer dans mon atelier plutôt qu’à Fontevraud [Maine-et-Loire], ironise-t-il. Lorsque j’ai fait un “in situ déménageable” au Canada en 1986, à cette époque, on vous sommait de faire des pièces in situ. Tout était prévu, sauf le retour des pièces. J’ai alors intégré à l’installation la caisse d’emballage. » Peu à peu, celle-ci se mue en cercueil accueillant des gisants. En revisitant l’histoire de l’art, il « débite » ses icônes les plus célèbres en autant de détails reproduits sur des cartes postales. « Il a anticipé beaucoup de choses reprises par d’autres aujourd’hui, souligne l’historienne de l’art Catherine Strasser. La question de l’œuvre transportable est devenue un concept institutionnalisé, mais, malheureusement, le monde de l’art a la mémoire courte ! » Son travail fut d’ailleurs plus soutenu en Allemagne qu’en France, où son mélange de coquetterie dandy et de discrétion épidermique a suscité agacements ou rejets. « Il était accueilli avec jalousie et méfiance par les autres artistes et par la critique, insiste Jacques Damase. Pourtant son succès est venu par son travail, et non par vantardise. Il était mal à l’aise dans les vernissages. Il est même incapable de s’occuper d’argent ou de demander l’argent qu’on lui doit. Il était “rentable”, mais ne savait pas gérer sa rentabilité. »
La fatigue de l’« artiste VRP », piégé dans le caravansérail des expositions, n’est pas étrangère à la mise en sourdine de sa carrière. « De 1980 à 1995, je n’ai refusé aucun projet, je faisais dix expositions personnelles par an, une dizaine d’expos de groupe, j’avais une vie un peu folle, rappelle-t-il. J’avais l’impression de ne plus défaire ma trousse de toilette. Je ne suis pas de ceux qui jouissent d’être le roi des fêtes d’un soir. » Et d’ajouter : « Ce que je n’aimais pas dans le statut d’artiste, c’était d’être tributaire de décideurs qui vous invitent ou pas. Je continue à penser qu’être artiste, c’est un travail de jeune… »
Avant de basculer dans l’enseignement et le directorat, il mènera de front les deux activités. C’est en 1983, à l’École des beaux-arts de Lyon, qu’il découvre les joies de la maïeutique. « Il était très différent du reste du corps enseignant. Il nous apportait une ouverture, relate le galeriste Laurent Godin, alors étudiant à l’école. Il était attentif à des gestes par nature fragiles ou maladroits. Sa logique était de faire éclore des individus et non de les embrigader dans une pensée. » Pour le directeur du CAC Brétigny Pierre Bal-Blanc, « il associait provocation et pédagogie, nous remettait en question en nous demandant d’affiner un positionnement. Il avait le don de donner de l’ambition aux gens ». Mais Lyon ne fut pas nécessairement une sinécure. « Une bonne partie des professeurs le voyait comme le paradigme de la branchitude parisienne, précise un observateur. Il y avait une forme d’hostilité envers quelqu’un vu comme un intrus. » Après une petite parenthèse, il dirige le post-diplôme de Nantes avant de prendre la direction de l’école d’art. En deux ans à peine, il y crée une galerie, comme il le fera plus tard à Cergy (Val-d’Oise), où il organise des expositions en invitant Orlan ou Pierrick Sorin.
Fluidité
Lorsqu’il prend la direction des Beaux-Arts de Cergy, il quitte une province tranquille pour une banlieue revêche et une institution dure, privée depuis près d’un an de direction. « Patrick n’a pas voulu rentrer dans une guerre de clans. Il respecte beaucoup les situations qu’il trouve et s’y adapte », glisse Catherine Strasser. Raynaud joue alors les pacificateurs. « Il avait repéré avec précision les problèmes de Cergy, que l’école était loin, isolée, que les artistes n’y venaient plus, souligne l’artiste Loris Gréaud. Il ne voulait pas d’une école qui se regarde le nombril. Il a alors invité des artistes importants comme Fabrice Hyber ou Dominique Gonzalez-Foerster. » Pour rapprocher symboliquement l’école de la capitale, il crée un point de chute parisien avec l’espace d’exposition La Vitrine.
Son départ de Cergy pour la direction de l’Ensad sera vécu par certains comme une fuite vers le confort. Rue d’Ulm, le territoire est certes plus large – presque dix écoles en une –, mais la section arts plastiques, exsangue. Surtout, il hérite de locaux exigus et d’un projet de réaménagement sépulcral. « Nantes était comme une Maserati, une petite voiture nerveuse et maniable. Ici c’est plutôt une Rolls, luxueuse, mais lourde, plaisante Patrick Raynaud. Les projets prennent plus de temps à se mettre en place qu’ailleurs. Pendant longtemps, l’école s’est nourrie d’elle-même, dans un esprit consanguin. » Il exige de fait que les deux tiers du recrutement des enseignants puisent ailleurs que dans le vivier des anciens de l’Ensad. « Il a apporté les choses les plus positives des écoles d’art dans une école professionnalisante, indique Joëlle Malichaud, chargée de mission à la délégation aux Arts plastiques. Il a su créer une fluidité qui n’existe pas forcément ailleurs, car il travaille en bonne intelligence avec ses collaborateurs. » Une fluidité qui ne va pas sans anicroches. En confiant l’identité visuelle de l’établissement au duo M/M (Paris), il essuie une levée interne de boucliers. « Certains dans l’administration ont menacé de faire grève en disant que la charte graphique affectait leurs yeux, rappelle Mathias Augustyniak, de M/M. Patrick Raynaud a fait preuve de diplomatie, sans pour autant céder aux pressions. Il a dit que l’administration pouvait ne pas utiliser notre charte, mais que lui, en tant que directeur, l’utiliserait dans ses courriers. » Ce dernier a aussi dû affronter voilà quelques mois une méchante cabale lancée par des étudiants. Un conflit qu’il désamorce par une lettre ouverte rédigée sous forme de fable.
Et sa pratique artistique dans tout ça ? L’homme, qui entamera en septembre son troisième mandat à l’Ensad, l’aurait-il totalement étouffée ? « Il n’a pas arrêté, il s’est un peu écarté, mais je pense que ça reviendra. Il reste un artiste à part entière », assure sa galeriste Patricia Dorfmann (Paris). « Un projet de commande publique peut m’exciter, lâche l’intéressé. Je suis tenté quand il y a un cahier des charges, une complexité. Ce qui m’a toujours intéressé dans l’art, c’est qu’il y a plusieurs portes d’entrée. » En tout cas, il est une porte de sortie qui titille aujourd’hui Patrick Raynaud, celle de la Villa Médicis, à Rome, dont il fut un candidat de la première heure.
1946 Naissance à Carcassonne (Aude).
1968 Entre à l’Idhec, Paris.
1973 Court-métrage sur Sonia Delaunay.
1982 Enseigne à l’École nationale des beaux-arts de Lyon.
1994 Directeur du post-diplôme de l’École régionale des beaux-arts de Nantes.
1997 Directeur des Beaux-Arts de Nantes.
1999 Directeur de l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy.
Depuis 2002 Directeur de l’École nationale supérieure des arts décoratifs, à Paris.
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Patrick Raynaud
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°282 du 23 mai 2008, avec le titre suivant : Patrick Raynaud