Art contemporain

RENCONTRE

Mohamed Bourouissa, un artiste en terrain affectif

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 6 février 2018 - 1137 mots

PARIS

En 2008, à la galerie Les Filles du calvaire, « Périphérique » révélait un artiste qui bousculait les codes de la représentation des jeunes de banlieue. « Urban Riders », à partir du 26 janvier au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, fait entendre la même résistance aux ségrégations et stéréotypes.

Paris. Il a commencé par dire « non » à la proposition faite par le directeur du Musée d’art moderne de la Ville de Paris (MAMVP), Fabrice Hergott, à son galeriste Kamel Mennour de reprendre l’exposition présentée l’an dernier à la Barnes Foundation à Philadelphie (Pennsylvanie) puis à l’Atlanta Contemporary (Géorgie). Le report de travaux dans une partie des salles du musée contraignait son directeur à trouver une exposition rapide à monter. Le nom de Mohamed Bourouissa s’est imposé. L’institution a toujours soutenu son travail depuis que la jeune Jessica Castex, chargée d’exposition au MAMVP, a repéré ses images de la série « Temps mort » lors du festival Photo & Légendes de Pantin (Seine-Saint-Denis), en 2008. Quinze des vingt et une photographies de la série, réalisées à partir d’images fixes et animées échangées par téléphone portable entre l’artiste et deux connaissances détenues en centre pénitentiaire, sont entrées d’ailleurs dans les collections de l’institution, à l’instar du film Legend produit pour l’exposition « Dynasty » en 2010.

Cette première réaction négative, vite dépassée, Mohamed Bourouissa l’explique par « le temps trop court imparti au montage de l’exposition », trois mois à peine. « Si cela avait été un autre lieu j’aurais eu la même réaction », précise-t-il. « Je suis quelqu’un de très lent », d’angoissé aussi surtout face aux projets d’exposition dont une importante à partir de juillet à la Biennale de Liverpool. « Et puis, ajoute-t-il, je ne mesurais pas ce que cette exposition pouvait représenter. »« Urban Riders » est de fait la première exposition monographique de l’artiste en France proposée par un musée, alors qu’il est invité personnellement depuis dix ans à l’étranger.

Travail collaboratif

« Ce qui m’importe avant tout, c’est ce que [les projets d’expositions] génèrent, produisent en discussions, rencontres, collaborations, constructions, participations », souligne-t-il. Ne dérogent à cet esprit ni la présentation de « Horse Day » au Musée d’art moderne ni « La Fureur du dragon », projet mené pendant un an pour le Studio 13/16 au Centre Pompidou avec de jeunes détenus de l’établissement pénitentiaire pour mineurs de Porcheville (Yvelines). « Horse Day » a demandé plus de temps. L’artiste a effectué en effet plusieurs séjours au sein de la communauté des cavaliers des écuries de Fletcher Street, situées dans le ghetto noir et pauvre de Philadelphie, avant de se faire accepter. Pendant près de quatre ans, le projet « Horse Day » s’est développé de manière empirique, associant progressivement cavaliers et artistes locaux.

À Paris, « Urban Riders » réunit également artistes et amis comme la rappeuse Casey ou les deux plasticiens Gaëlle Choisne et Faycal Baghriche. Le programme de workshops, une première pour le MAMVP, ou celui des ateliers du Studio 13/16 témoignent de ce désir. « Cette envie de produire des projets collaboratifs vient de la période où, avec une bande d’amis, nous faisions des graffitis et du rap », explique Mohamed Bourouissa. « L’amitié pour Mohamed est un vrai lieu d’affect, d’échanges », confirme le graffeur, peintre et dessinateur Yâsîn Robert, l’ami de ces équipées que l’on retrouve depuis régulièrement à ses côtés, notamment dans la programmation des ateliers de « La Fureur du dragon » au Centre Pompidou. Ismaïl Barhi, rencontré aux Rencontres de Bamako en 2009, relève lui aussi « sa grande fidélité, son don de rassembler, sa facilité à créer le lien avec les gens ».

« Dans la constitution de mon travail, l’amitié est fondamentale », reconnaît Mohamed Bourouissa. La notion d’altérité l’est tout autant pour le natif de Blida en Algérie, arrivé à Courbevoie (Hauts-de-Seine) à l’âge de 5 ans et confronté à une langue inconnue. « L’école primaire a été un temps dur, violent. La personne qui m’a permis de trouver ma place a été mon professeur de dessin au collège, Mme Anouilh. C’est par le dessin que j’ai commencé à exister. C’est par lui que commencent encore tout dialogue et tout projet. » Et Mohamed Bourouissa d’évoquer dans la foulée le rôle déterminant du photographe Christian Courrèges, son professeur à l’École nationale supérieure des arts décoratifs, à Paris, son mentor, son protecteur disparu le 21 décembre dernier et auquel il a dédié le livre d’artiste qui accompagne l’exposition « Urban Riders ».

Une fidélité à la périphérie

Depuis sa sortie des Arts déco en 2006, son entrée l’année suivante à la galerie Les Filles du calvaire, Christine Ollier (directrice de la galerie et membre du jury de son diplôme de fin d’études) et la présentation en 2008 par la galerie de « Périphérique », le chemin parcouru est fulgurant. Ces photographies grand format de jeunes de banlieue dont la composition de la scène se réfère à de grandes toiles de maître révélaient un jeune artiste de talent à la personnalité attachante, bouillonnant de projets et désireux d’avancer rapidement. Résidences, prix, expositions, entrée à la galerie Kamel Mennour, Biennale de Venise en 2011, Foire de Bâle se sont enchaînés en quelques années à un rythme soutenu.

La confrontation au succès a été « violente », rapporte-t-il. Elle n’a pas été sans conséquence. « À Venise, j’étais malade, pas bien du tout. Je ne cherchais pas le succès, mais à raconter des choses. » L’installation un temps à Marseille pour réaliser un projet sur le « non-emploi » lui a fait du bien. Vivre aujourd’hui à Gennevilliers, installer son atelier à Asnières (deux villes dans les Hauts-de-Seine), et non à Paris où il a vécu un bref moment sans y trouver de plaisir, participe de cette même « retraite ».

Ses choix marquent aussi une fidélité à la périphérie, à la banlieue où demeurent sa mère, ses amis. Elle reste indéfectiblement un territoire où les sujets s’enracinent et les questionnements prennent forme. « Le travail de Mohamed Bourouissa repose beaucoup sur l’humain, sur les questions de ségrégation et les schémas de représentation », rappelle Jessica Castex. « Il parle beaucoup de communautés, de marginalités, de résistance aux stéréotypes », poursuit Odile Burluraux, co-commissaire d’« Urban Riders ».

Pour son diplôme de fin d’études, Mohamed Bourouissa avait montré les premières photos de « Périphérique », mais aussi des photographies qu’il avait prises à l’hôpital psychiatrique de Blida où Frantz Fanon, écrivain très important pour lui, a travaillé en tant que psychiatre. Le désir de revenir aujourd’hui à ces images l’amène à se confronter à sa propre histoire, amorce d’un nouveau projet…

1978
Naissance à Blida (Algérie).
2007
Diplômé de l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris.
2009
Présentation de la vidéo à La Maison rouge, Paris.
2012-2013
« L’utopie d’August Sander », à la Galerie Édouard-Manet, à Gennevilliers. Projet monté en collaboration avec l’agence Pôle Emploi de Marseille-Joliette, également montré à la Friche la Belle-de-Mai (Marseille-Provence 2013).
2017
« Urban Riders », Barnes Foundation (Philadelphie).
2018
« Urban Riders », du 26 janvier au 22 avril, Musée d’art moderne de la Ville de Paris ; « La Fureur du dragon », jusqu’au 11 février, Studio 13/16, Centre Pompidou.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°493 du 19 janvier 2018, avec le titre suivant : Mohamed Bourouissa Un artiste en terrain affectif

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