Art contemporain

RENCONTRE

Mathieu Mercier, un ovni fasciné par Duchamp

« Je fais des monochromes et des readymades »

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 6 septembre 2017 - 1144 mots

PARIS

Exposé tôt sous les feux de la rampe dans les musées parisiens, lauréat du prix Duchamp 2003, l’artiste se joue désormais des étiquettes des institutions et distille ses œuvres avec facétie.

Paris. Propulsé sur le devant de la scène française à la fin des années 1990, lauréat du prix Marcel Duchamp en 2003, Mathieu Mercier a 33 ans lorsqu’il inaugure l’espace 315 du Centre Pompidou. Quatre ans plus tard, en 2007, le Musée d’art moderne de la Ville de Paris lui consacre une rétrospective : assiette au motif concentrique répété sur un mur « invitant simultanément à un regard distrait et focalisé » ; mur de chevilles colorées « en constellation » ; casque chromé « réfléchissant l’ambivalence sécuritaire » ; une cinquantaine de pièces – installations, sculptures, photos, peintures – retracent ses quinze premières années de travail, témoignant « d’une capacité passionnante à donner à l’usage le plus banal une tonalité dérangeante, sans être agressive », selon Fabrice Hergott, directeur du musée. « J’étais convaincu que [Mathieu Mercier] était un des artistes majeurs de la scène française. Je le suis toujours. »

Une décennie plus tard, l’intéressé se souvient cependant qu’à son grand étonnement « (s)on téléphone n’a pas sonné après l’exposition. » Les années suivantes, les expositions monographiques en France, où il est revenu après une période new-yorkaise, se font rares : au Centre d’art de Castres en 2002 ; au Fonds régional d’art contemporain des Pays de la Loire en 2006, au Credac d’Ivry et à la Fondation Ricard en 2012… Début 2014, le Centre d’art de l’Onde présente « Monochromes & Ready-Mades », une sélection de quarante-sept pièces de la collection de l’artiste, constituée comme « un refuge » en réaction à « la violence » du monde extérieur.

S’il figure au top 30 du classement Artindex France, Mathieu Mercier a appris à jongler, faute de visibilité, avec plusieurs casquettes : membre de jurys et de comités administratifs, commissaire d’expositions, conseil en entreprise, enseignant… Conscient d’avoir très tôt « grillé ses cartouches » au Centre Pompidou et au Musée d’art moderne, il affirme ne rien attendre des institutions et se voit comme « un ovni » dans le paysage artistique. D’autant plus extraterrestre qu’après sa rupture « douloureuse » avec la galerie Chez Valentin et son retrait en tant qu’associé de la galerie des Multiples, il n’a plus de vitrine parisienne.

Le Musée d’art moderne dispose, pour sa part, dans ses réserves, d’un ensemble significatif de ses œuvres : des acquisitions, mais également des dons de collectionneurs, dont Guillaume Houzé, un fidèle, qui possède une quinzaine de pièces à titre personnel. « Mathieu est quelqu’un qui compte beaucoup dans ma collection », confie le président de la Fondation d’entreprise Galeries Lafayette. En 2004 c’est le Musée de Strasbourg – alors dirigé par Fabrice Hergott – qui achète l’œuvre avec laquelle Mercier a eu le prix Marcel Duchamp, Le Pavillon. Soit une reproduction à l’échelle 9/10e d’une forme type d’immobilier, pièce née de réflexions sur l’habitat, l’architecture et l’espace public. Au centre de l’Espace 315 du Centre Pompidou, où il est exposé en 2004, Le Pavillon capte l’attention des visiteurs, tel un leurre signalant sa propre vacuité. Libres à eux de voir ce qu’ils veulent dans cette coquille vide, engrenage parmi d’autres œuvres d’une exposition pensée comme une mécanique de précision, associations d’idées susceptibles de se déclencher avec un effet retard.

Une autre maquette, aux allures de maison de poupée géante, trône aujourd’hui au rez-de-chaussée de son studio parisien : celle de l’immeuble de 650 m2 où il va bientôt s’installer à Valence, en Espagne. Cette fois-ci, il s’agit d’un véritable projet de vie ; les travaux, assez lourds, sont en cours et le déménagement, avec sa femme et leur fille de 8 ans, prévu pour 2018. Loin des « tensions » parisiennes, dans le centre piétonnier de Valencia, il sait qu’il pourra « entendre le bruit de ses pas, donc mieux réfléchir ».

Nombre d’idées lui viennent d’ailleurs en marchant. Comme la série « Drum and Bass », conçue au croisement des artères de Manhattan, de considérations sur la place grandissante des objets design et de souvenirs des compositions géométriques de Piet Mondrian. La référence à la série « Boogie-Woogie » du pionnier de l’abstraction et le style de musique électronique que Mercier écoute à l’époque donnent son titre à la pièce : étagère noire sur laquelle sont disposés comme à l’intérieur d’une grille des objets manufacturés de couleurs primaires. Quant à l’idée de la série « 100 cars on Karl Marx-Allee », elle s’est cristallisée en déambulant dans Berlin, où il a vécu. Ces « gros plans monochromes de carrosseries de véhicules stationnés sur l’avenue portant le nom d’un célèbre philosophe révolutionnaire », clichés de l’Allemagne de l’Est après la chute du mur, opèrent à la manière d’un raccourci historique et métaphysique : « renvoyant le produit fétiche de l’industrie capitaliste à une évocation du Cosmos ».

Des monochromes et des ready-mades

Dans les dîners, lorsqu’on lui demande ce qu’il fait, moitié ironique, moitié factuel, Mathieu Mercier répond : « des monochromes et des ready-mades ». Cette plaisanterie est devenue l’intitulé d’un atelier, qu’il a animé dans plusieurs écoles d’art, ainsi que l’intitulé de son exposition au Centre d’art de l’Onde à Vélizy. Conciliant deux extrêmes de l’art, la formule facétieuse ne suffit cependant pas à embrasser l’ensemble de sa production, aussi prolifique que protéiforme.

L’objet semble y tenir une place à part, qu’il assigne à ses œuvres une fonction pratique – dans le genre, on lui doit de nombreuses éditions limitées – ou qu’il détourne au contraire l’usage courant en valeur symbolique. Oui mais… il s’intéresse aussi au vivant, comme quand il présente, en 2012, un couple d’axolotls, sorte de poissons à pattes, dans un aquarium. Ou encore lorsqu’il réalise, en réponse à une commande d’Orange, une vidéo sobrement baptisée Le Nu. Ce film tourné en 3D à l’aide de deux objectifs très rapprochés simulant la vision d’un insecte aborde son sujet de si près que le spectateur, l’œil rivé à l’image, a l’impression de le toucher du regard. Question de perspective, qui rappelle celle du dispositif « Étant Donnés(…) : 1° la chute d’eau 2° le gaz d’éclairage…, l’installation duchampienne invitant le regardeur à jouer les voyeurs. Marcel Duchamp demeure une constante. Une obsession ? Mathieu Mercier a consacré cinq années en collaboration avec la famille Duchamp à une réédition abordable de la Boîte-en-valise – diffusée en 2016 à 3 000 exemplaires par Walther König, et déjà épuisée. Au cours des nombreux échanges entre l’artiste et les ayants droit, ces derniers, pour éviter que des originaux s’égarent par la poste, lui ont demandé de les contresigner. Il s’est exécuté. Une sorte de performance, en passant.

Parcours
1970
Naît à Conflans-Sainte-Honorine.
2003
Lauréat du prix Marcel Duchamp et expose au Centre Pompidou.
2007
Fait l’objet d’une première rétrospective importante, « Sans titres 1993-2007 », à l’ARC/Musée d’art moderne de la Ville de Paris.
2012
Fait l’objet d’une exposition personnelle « Sublimations » au Crédac d’Ivry-sur-Seine.
2016
Présente la réédition de La Boîte-en-valise de Marcel Duchamp (éditeur Walther König).
2018
Déménage à Valence en Espagne.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°484 du 8 septembre 2017, avec le titre suivant : Mathieu Mercier, un ovni fasciné par Duchamp

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