PARIS
Elle a parcouru pendant 90 jours la muraille de Chine, est restée silencieuse durant 700 heures face aux visiteurs du MoMA, s'est lacérée au nom de l'art, et à 74 ans, la performeuse star Marina Abramovicć se dit prête encore à « donner 150 % » d'elle-même.
L'icône de la performance artistique est cette semaine à l'Opéra de Paris pour présenter « 7 Deaths of Maria Callas » (1-4 septembre), un spectacle mêlant opéra, vidéo et performance, inspiré de la vie de la célébrissime diva. « Si quelqu'un m'avait dit il y a 20 ans que j'allais faire un opéra, je l'aurais traité de fou », affirme l'artiste serbe à l'AFP, au Palais Garnier. Ce n'est pas exactement pour explorer l'art de « La Divine » que Marina Abramovic s'aventure sur le terrain lyrique, elle qui a déjà collaboré avec les chorégraphes Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet dans « Pelléas et Mélisande » et avec le metteur en scène Bob Wilson qui a monté « The Life and Death of Marina Abramovic ». « J'avais 14 ans quand je l'ai entendue à la radio dans la cuisine de ma grand-mère ; j'ai pleuré tellement j'ai été touchée par la beauté de sa voix », se souvient-elle.
« Mon travail m'a sauvée »
La papesse de l'art performatif aux longs cheveux noirs évoque des résonances avec sa vie : une enfance malheureuse auprès d'« une mère très difficile » en ex-Yougoslavie, « une forte présence et une incroyable fragilité émotionnelle ». Mais surtout, un énorme chagrin d'amour; celui que La Callas connut avec Onassis et dans son cas, sa relation fusionnelle avec le performeur Ulay. « Je souffrais tellement que je pouvais plus respirer ni dormir », se rappelle-t-elle. Mais alors que la diva, abandonnée par Onassis pour Jackie Kennedy, s'éteint à Paris en 1977 à 53 ans d'un arrêt cardiaque, « mon travail à moi m'a sauvée », dit la performeuse. C'est avec Ulay, décédé l'année dernière, qu'elle a créé ses performances les plus emblématiques : ils courent nus l'un vers l'autre pendant près d'une heure et s'entrechoquent violemment jusqu'à l'épuisement, ils s'embrassent, également jusqu'à l'épuisement, se tiennent face à face, lui tirant sur un arc chargé vers le cœur. « The Great Wall Walk », où ils se retrouvent à mi-chemin de la Muraille de Chine avant de se dire au revoir, consacrera leur séparation en 1988.
Dans « 7 Deaths of Maria Callas », elle invite sept sopranos pour chanter des airs célèbres de la diva. Sur un écran à l'arrière-scène, Abramovic apparaît dans des vidéos où elle interprète « la mort » des héroïnes d'opéra, de Tosca (un saut dans le vide) à Carmen (poignardée), puis sur scène pour incarner les dernières heures de la Callas.
Dans les manuels d'art
« Quand je suis devenue performeuse, le théâtre était l'ennemi, on détestait ça, c'était artificiel... », confie l'artiste. Pour elle, « 7 Deaths » n'est pas une simple installation, n'en déplaise aux critiques. La critique, Marina Abramovic lui fait la sourde oreille. « La performance est l'une des formes d'art les plus difficiles. Dans les années 70, la critique était tellement féroce que si je (la) lisais, je n'aurais jamais quitté la maison », dit-elle, rappelant que ses premières œuvres « sont aujourd'hui dans les manuels d'art ». Des performances aussi perturbantes qu'hypnotisantes : elle a ainsi failli mourir par asphyxie lors d'une d'entre elles. A-t-elle jamais pensé être allée trop loin ?
« Je dis toujours qu'il faut donner non pas 100 %, mais 150 % de soi-même. Ces 50 % en plus, c'est ça qui fait la différence ». Son travail le plus célèbre reste « The Artist is Present » (2010), au MoMA : 850 000 personnes ont participé à cette performance partageant une minute de silence avec l'artiste, certains fondant en larmes face à elle. « Après cela, la performance est devenue mainstream. Dans les années 70, quand il y a 30 personnes, c'était beaucoup de monde. Aujourd'hui, sur WeTransfer, on a eu 80 millions de vues », dit-elle en référence à sa récente collaboration avec la plateforme où elle présente la Méthode Abramovic, qu'elle enseigne depuis 30 ans.
Si « performer est de plus en plus difficile avec l'âge », l'artiste, qui attire notamment le jeune public, ne ralentit pas. « Je ne regarde jamais en arrière », dit-elle. Pandémie ou pas, elle vit depuis des mois « dans une valise », avec de nombreux projets l'emmenant aux quatre coins du monde, comme pour celui à Kiev en octobre sur un massacre de Juifs en Ukraine pendant la Seconde Guerre mondiale. « Même après 50 ans, on me demande encore si c'est de l'art. Cette question va probablement subsister après ma mort, mais peu importe », sourit-elle.
Cet article a été publié par l'AFP le 31 août 2021.
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Marina Abramović, diva assoluta de la performance, à l'Opéra
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